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LA LOGIQUE DES SENTIMENTS

de là sa ténacité, Mais si inébranlable qu’elle paraisse, le doute la traverse au moins par moments. Il s’ensuit une rupture d’équilibre mental qui appelle un remède. C’est le raisonnement de justification.

Celui qui a une foi ardente en un homme, en un régime politique, en une forme de gouvernement n’avoue jamais leur impuissance, ne s’incline pas devant leur échec, mais cherche au dehors des semblants de raisons. La chute de l’empire romain sous le choc des Barbares était attribuée par les païens à l’abandon des anciens Dieux, par les chrétiens à un châtiment providentiel du paganisme. Cette thèse est dans saint Augustin, Salvien, et d’autre part chez les historiens polythéistes, leurs contemporains.

Dans la morale pratique, le raisonnement justificatif est d’un emploi journalier. Dans la morale théorique, celle que les moralistes bâtissent laborieusement, le procédé est plus savant, plus systématique ; mais au fond c’est une tendance maîtresse, une préférence individuelle, une subjectivité qui, dissimulée sous cet appareil logique, guide vers une fin posée d’avance. Comme le fait remarquer Balfour[1], dans les discussions de la morale, il y a une diversité extrême dans les prémisses, une uniformité étrange dans les conclusions. Pourquoi ? parce que les conclusions étaient fixées dès le commencement et le but arrêté avant que le voyageur se mette en route. « Les constructeurs de morale sont des avocats qui se donnent

  1. Les bases de la croyance, trad. franç., p. 157.