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LA LOGIQUE DES SENTIMENTS

besoin, d’un instinct, d’un désir ; mais cette poussée originelle mise à part, il arrive souvent que l’élément affectif est absent ou négligeable, ou exclu par la nature même du travail créateur. Ainsi dans l’invention scientifique, mécanique, financière, commerciale, l’emploi du raisonnement rationnel est seul légitime, et l’intrusion d’une émotion ou d’une passion quelconque ne ferait que l’entraver.

Le raisonnement imaginatif, lui, implique toujours des éléments affectifs et n’existe même qu’à cette condition ; mais il vise si peu à créer qu’il prétend au contraire découvrir ou établir une vérité existante par des moyens qui lui sont propres, c’est-à-dire par une construction imaginative en sorte qu’il diffère de la faculté d’invention par son but, par ses résultats qu’il tient pour objectifs ; mais il lui ressemble par les procédés employés.

Maintenant, si l’on compare les deux formes de raisonnement — rationnel, affectif — en tant qu’instruments de découverte, la différence se réduit à une opposition fondamentale déjà signalée.

Le raisonnement rationnel en s’appliquant aux événements de la nature, de l’humanité, de la vie sociale, s’efforce, par des procédés multiples, par des méthodes variables selon les cas, de deviner et de reproduire exactement l’ordre et l’enchaînement des phénomènes. Même en admettant avec quelques idéalistes que les principes et catégories qui règlent nos raisonnements ne sont que des stratagèmes pour imposer une discipline à la masse con-