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LA LOGIQUE DES SENTIMENTS

souffreteux ; le mari âgé qui agit de même avec sa très jeune femme ; l’amour demi-sensuel qui devient mystique[1].

Ce transformisme psychologique ne peut être que l’œuvre d’un travail intellectuel, en partie conscient. À l’origine, le sentiment normal ; puis un état hybride, des formes de passage aboutissant à la métamorphose finale. Quel rôle peut-on assigner à la logique des sentiments dans cette évolution anormale ? Ici, comme dans tout raisonnement affectif, il y a une fin, un but qui suscite et choisit, à l’exclusion de tous autres, certains jugements de valeur sur les personnes. Cette fin est la conception inconsciente ou inavouée d’un idéal, c’est-à-dire une construction en images appartenant au type que j’ai appelé ailleurs « ébauché » (Imagination créatrice, Conclusion, p. 264). Dans tous les cas que j’ai observés, l’idéal ne s’étant pas réalisé ou s’étant évanoui, une tendance obscure entraînait l’individu à lui donner la vie, à l’incarner là où il rencontrait quelques conditions d’existence. Ainsi une communauté de tempérament, de goûts, d’idées (obs. I et II), une apparence ou imitation d’enfant (obs. III) ; cette opération pourrait s’appeler par substitution. Il faut remarquer que la genèse de ces sentiments hybrides traverse au début une période de lutte entre la forme normale et la forme nouvelle qui doit la sup-

  1. Par exemple, la tendresse que M. Guyon éprouve d’abord pour le P. Lacombe, son confesseur. Pour les documents, voir Leuba : « Les tendances fondamentales des mystiques chrétiens », dans la Revue philosophique de juillet 1902.