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LE RAISONNEMENT INCONSCIENT

À mesure que sa fille avance en âge et en science, M… prend sa femme en pitié, la réduit à un néant qu’elle accepte sans se plaindre, la traite comme une sotte « qui ne comprend rien », comble sa fille de cadeaux, de faveurs, en fait sa compagne assidue, sa confidente intime, quoique celle-ci en souffre pour sa mère qu’elle aime tendrement. Si l’on parle d’un mariage éventuel il entre en fureur : « Quel besoin a-t-elle de se marier ? » C’est comme une jalousie anticipée. La fille avait atteint vingt-cinq ans, quand son père est mort subitement.

Obs. II. — L…, homme nul, ignorant, présomptueux, incapable de tout, esprit faux et maladroit, a végété toute sa vie dans un poste infime. Sa, femme, virile, ambitieuse, intrigante, l’a épousé par nécessité et l’a, durant toute leur vie en commun, accablé de son mépris. — Le fils aîné, esprit sage, pratique, mais très ordinaire, est devenu son idole (au détriment du cadet qui lui est très supérieur en tout et l’a montré). Elle le tient en tutelle, le conduit, le pousse, vent pour lui, en fait son confident et parfois son conseiller, transporte sur lui toutes ses ambitions. Elle lui procure un mariage riche, inespéré. Quinze jours après, jalousie féroce contre sa bru : « une sotte, un mouton bêlant ». Critiques et récriminations incessantes centre elle auprès du mari. Six mois de scènes perpétuelles, rupture complète avec son fils qu’elle accuse d’une noire ingratitude.

Obs. III. C…, marié depuis longtemps, sans enfants, en très bons termes avec sa femme. Survient une jeune parente, inconnue de lui jusqu’alors. Par suite des circonstances, les deux époux sont conduits à la prendre sous leur tutelle. C… parcourt un premier moment où l’attrait sexuel pour la jeune fille dominait. Mais des raisons puissantes les combattent : son affection pour sa femme, la grande différence d’âge, etc. Le sentiment primitif se transforme rapidement en un amour paternel : état final qui dure depuis des années.

Je pourrais continuer cette énumération de faits ; le lecteur en trouvera dans son expérience personnelle, J’omets aussi les formes embryonnaires, très fréquentes : la femme solide qui traite comme un enfant son mari