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LE RAISONNEMENT INCONSCIENT

II. Les transformations. — Je désigne sous ce nom la métamorphose d’une forme d’émotion en une autre qui paraît spécifiquement différente. C’est un changement à incubation lente qu’il est impossible de réduire à une seule formule et que l’on comprendra mieux par une énumération de faits. Avant d’en donner des exemples, j’indique quelques modes de transformation qui ne sont pas à classer sous cette rubrique.

J’élimine d’abord des changements fréquents dans la vie ordinaire et que le langage désigne sous ce nom : l’amour transformé en haine ou inversement, la prodigalité en avarice, le prosélytisme en indifférence. Ces cas me paraissent assimilables à une forme embryonnaire et très partielle de conversion.

J’écarte encore les transformations apparentes qui frappent beaucoup l’attention et donnent le change aux esprits peu observateurs : par exemple, le fanatisme religieux devenant un fanatisme irréligieux ou un fanatisme politique. Pour le spectateur du dehors qui s’en tient au fait brut, il y a une transformation complète ; pour celui qui voit le mécanisme intérieur, il y a plutôt permanence. La poussée affective — tendance, désir, émotion, passion — reste la même quant à son intensité ; elle ne fait que se décharger dans une autre voie ; comme l’effort musculaire de mon bras, selon qu’il arrache une racine ou tire un coup de revolver. Le seul changement est dans l’appréciation, dans les jugements de valeur et finalement dans le contenu intellectuel, dans le but qui prévaut. Une