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PRÉFACE

proscrites par les logiciens ou classées à tort parmi les sophismes.

En lisant les traités de logique, il semblerait que le raisonnement régulier, exempt de contradictions, est inné chez l’homme ; que les formes vicieuses, non adaptées, ne se produisent qu’à titre de déviations et d’anomalies. C’est une hypothèse sans fondement. Le raisonnement des logiciens n’a pas surgi tout armé pour régner par droit de naissance. Ce fait ne s’est pas produit, ne pouvait pas se produire. Dès que l’homme dépasse la connaissance immédiate des sensations externes et internes, dès qu’il s’aventure au delà de ce qui lui est donné par l’expérience de directe ou par ses souvenirs, pour expliquer, conjecturer, prévoir, il n’a que deux procédés : raisonner, imaginer. À l’origine, les deux se confondent, comme on l’observe chez les enfants et les peuples sans culture intellectuelle. La logique naissante est brute et fruste ; le raisonnement primitif est au raisonnement des logiciens ce que les instruments de l’age de pierre sont à nos outils perfectionnés.

Dans ce mélange confus de vrai et de faux, de preuves et de puérilités, d’exactitude et de fantaisie auxquels le raisonneur novice attribue une valeur égale, lentement, par suite d’un développement que nous aurons à retracer, une séparation s’établit entre