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L’ANALYSE DES DOCTRINES.

toujours l’ossature de toutes ces représentations concrètes. Ils résistent aux prises du temps comme de la critique. Ils se complètent, certes, à chaque découverte nouvelle ; ils se compliquent aussi, à mesure que s’approfondit l’étude de la nature et qu’on essaye de serrer de plus près la complexité du réel ; mais en se complétant et en se compliquant, les parties déjà construites, à moins qu’il ne s’y soit glissé de grossières erreurs, (comme dans les lois du choc de Descartes), par une analyse expérimentale insuffisante, restent inébranlées et inébranlables[1].

Les hypothèses fragiles sont des images dont nous habillons les relations physiques. Mais ces relations sont aussi réelles que les sensations directes des phénomènes, puisque après tout elles s’y ramènent. Elles sont ce qui reste de ces sensations, lorsqu’on les a dépouillées de leurs nuances individuelles, de ce qu’elles ont vraisemblablement d’illusoire et d’accidentel, de subjectif, Poincaré le dit en propres termes : les hypothèses fragiles sont des images « qui expriment des rapports vrais » et dont nous « habillons » la « réalité ».

Ainsi rien n’est moins subjectif, individuel et fragile que la théorie physique si on la considère dans son squelette et sa charpente. Elle est au contraire permanente et stable. Elle exprime par ses équations des rapports, et ses équations restent identiquement les mêmes, à travers l’évolution de la physique, parce que les rapports qu’elles traduisent sont des rapports réels. Ils sont même la seule réalité que nous puissions vraiment atteindre[2]. Ils n’ont donc rien des « recettes pratiques » auxquelles un scepticisme superficiel voudrait les réduire. Ce qui est recette pratique, ce sont les images que nous sommes forcés de mettre à la place des objets réels pour soutenir l’énoncé des rapports que nous constatons entre eux. Ces images ne sont que des métaphores indifférentes ; elles jouent dans la théorie scientifique le rôle des décors dans une pièce de théâtre : elles sont chargées de rendre facilement accessible le

  1. Science et hypothèse, p. 189, 190.
  2. Id., p. 190.