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REVUE POUR LES FRANÇAIS

s’épanouira au Canada est représentée par un seul rejeton. Parmi les onze fils de Charles Le Moyne, l’aîné a huit enfants ; le quatrième, Paul, qui s’est marié deux fois n’en a pas. Pierre, Antoine, Joseph et Jacques en ont chacun trois ; à noter que la femme de Jacques l’a épousé à 12 ans et qu’elle n’a pas encore achevé sa dix-neuvième année lorsqu’il est tué sous les murs de Québec. La troisième génération voit s’accroître la disproportion. À Rouen, un frère a deux enfants, l’autre dix. Outre-mer la branche qui va s’éteindre est représentée par plus de vingt-cinq héritiers ; celle qui va progresser n’en a que cinq et bientôt se trouvera pour la seconde fois réduite à un seul héritier mâle. La natalité toutefois, finit par se fixer autour d’une moyenne de deux enfants par ménage pour la France et de cinq pour le Canada ; cela ne se produit qu’avec ce qu’on pourrait appeler la fin des aventures, quand les Le Moyne, retournés dans la métropole deviennent, leurs campagnes terminées, celui-ci maire de Saint-Jean d’Angély, cet autre conseiller général de la Charente-Inférieure et quand ceux de Montréal se sont faits avocats, notaires ou médecins.

Autre remarque : la mortalité infantile a toujours été très faible et l’est restée. Le fondateur de la famille, Pierre Le Moyne, de Dieppe, n’a perdu qu’un enfant en bas âge sur neuf ; son fils Charles, un sur quatorze ; son petit-fils, un sur neuf ; son arrière petit-fils, deux sur dix ; ces derniers ont vécu à Rouen ; au Canada les chiffres sont à peu près les mêmes.

On pourrait tracer presque mathématiquement la courbe de l’esprit d’initiative chez les Le Moyne. On la verrait jaillir inopinément du sol dieppois comme un geyser imprévu. Peut-être cette brusque ascension a-t-elle été déterminée par des atavismes que nous ignorons. Car la vie du père Le Moyne et de sa femme n’indique chez ces bonnes gens aucune velléité d’émigration. Mais il faut se remémorer qu’en ce temps-là les plus sédentaires des habitants de Dieppe étaient familiarisés par la vue des navires fréquentant le port avec l’idée des grands voyages et des établissements en terre lointaine. De plus toute la renommée de la cité lui venait des audaces exotiques de ses fils ; ceux-ci étaient connus pour leur goût des entreprises risquées. On était à la première moitié du dix-septième siècle ; il y avait plus de deux cent cinquante ans qu’un « Petit-Dieppe » existait sur la côte de Guinée — comptoir embryonnaire fondé jadis par de hardis négociants. La jeunesse subissait naturellement l’influence de ces exemples. Elle « avait