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UNE FAMILLE D’AUTREFOIS

de la délation dont nous connaissons, nous aussi, de visu, la puissance de destruction. Bienville en fut la constante victime. Non seulement les immenses services rendus par lui ne furent jamais appréciés à leur valeur, mais il eut sans cesse à se défendre contre les accusations les plus douloureuses et les moins justifiées.

Sans rien enlever à la gloire de ces deux hommes qui, aux deux extrémités de l’énorme arc de cercle de l’Amérique française travaillaient si noblement à en consolider la puissance, nous nous permettons de leur préférer encore le grand français qui fut leur père. Sa physionomie, demeurée dans une ombre ingrate, semble dominer ces annales familiales et en occuper le centre. Charles Le Moyne était né à Dieppe en 1626. Ses parents avaient neuf enfants, dont cinq émigrèrent au Canada où se trouvait déjà leur oncle Adrien Duchesne[1], frère de leur mère. Quand Charles y arriva il avait 14 ans et la ferme résolution de s’y débrouiller. Il ne paraît pas qu’on l’ait beauconp aidé. Peut-être s’était-il enfui du logis paternel contre le gré des siens, désireux de le garder près d’eux. Ce qui le donne à penser c’est que, s’il fut recueilli à l’arrivée par son oncle et ses frères, ceux-ci ne l’hébergèrent pas longtemps et le laissèrent goûter de la « vache enragée ». Il s’en alla au pays huron où les Jésuites l’employèrent et, dès le premier contact avec les sauvages, il s’intéressa à leurs mœurs et apprit leur langage.

Le Canada venait de traverser tout un siècle de vicissitudes. Il y avait cent ans en effet que pour diverses raisons Jacques Cartier avait vu échouer son entreprise colonisatrice. Alors pendant bien des années on ne s’était plus occupé que des pêcheries et du commerce des pelleteries. En 1578, près de trois cent cinquante navires sur lesquels cent cinquante environ étaient français, fréquentaient les côtes canadiennes. De Chastes, gouverneur de Dieppe ayant obtenu en 1603, le privilège des pelleteries à la mort du précédent concessionnaire, forma une société de négociants rouennais pour le compte de laquelle s’organisa l’expédition de Champlain. Champlain s’établit à Québec. Ses vues coloniales et

  1. Ce même Adrien Duchesne avait reçu en 1637 de la Compagnie des Cent Associés trente acres de terre sis aux portes de Québec. Il en fit don plus tard à Abraham Martin, pilote royal. L’endroit fut connu dès lors sous le nom de « plaine d’Abraham. » C’est là que se livra la bataille qui décida du sort de la Nouvelle France. On y voit aujourd’hui le monument commémoratif du double trépas de Wolfe et de Montcalm.