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chement au delà ne saurait reposer que sur d’enfantines spéculations. Il n’y a pas plus d’analogie entre Othon et Charlemagne qu’entre Charlemagne et Auguste. Auguste et Othon furent des princes politiques, laïques et nationaux : Charlemagne fut un prince religieux, ecclésiastique, dirait-on, si ce mot ne jurait avec ce que nous savons de sa vie privée ; du pontife en effet il n’eut jamais la silhouette mais il en eut la mentalité et, devenu empereur, toute autre préoccupation s’effaça, semble-t-il, en son esprit devant l’intérêt supérieur de la conquête chrétienne. Souverain national, Charlemagne ne le fut à aucun degré. Compte-t-il parmi les allemands ou parmi les français ? On s’est disputé violemment à ce sujet. La querelle est oiseuse. La France fut évidemment le centre, le noyau assuré de son empire. Aix-la-Chapelle était moins à ses yeux une capitale qu’un poste avancé d’où il pouvait contenir plus aisément les barbares du nord tant redoutés comme ennemis de l’Église et de la civilisation ; c’étaient Paris, Reims, Tours, Châlons, Arles, Lyon, Soissons qui étaient les foyers d’où rayonnait l’activité intellectuelle de l’empire. Charlemagne fut donc un roi de France ; il ne pouvait être roi d’Allemagne car l’Allemagne n’existait pas ; ce fut lui qui la créa. En dehors du vieux duché de Bavière qu’il détruisit d’ailleurs, elle ne formait qu’un chaos inorganique où les Teutons même ne dominaient pas encore. Il les groupa et leur donna un territoire déterminé avec une raison d’être et des germes d’ambitions[1]. Mais ceci admis, Charlemagne ne fut roi de France que de fait ; il ne le fut pas d’intention. Asseoir la puissance franque, la développer, l’unifier, franciser les peuples conquis comme Rome les avait latinisés, il ne sut pas s’y employer et rien ne prouve qu’il en ait jamais eu la pensée. C’est pour cela qu’on a pu vanter sa douceur en même temps que stigmatiser sa rudesse, qualifier à la fois son joug de paternel et de tyrannique. Il tyrannisa les consciences lesquelles, à vrai-dire, ne se rebellaient guère à cette époque ; mais il fut indulgent aux tendances particularistes sous quelque autre forme

  1. La grossière imposture de Godefroi de Viterbe, notaire de Frédéric Barberousse citant un soi-disant décret de l’empereur Valérien par lequel les Teutons auraient reçu le nom officiel de Francs, ne serait pas même digne d’être citée si certains historiens allemands n’avaient affecté de la prendre au sérieux. Godefroi de Viterbe qui ne craignait pas d’ailleurs d’établir que les Teutons descendaient de Priam (!) cherchait, en confondant ainsi Teutons et Francs, à réserver à son maître des titres ultérieurs à l’héritage total de Charlemagne.