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lui échappe, et l’armée, même, cesse de lui obéir. L’indécision de son caractère accumule sur sa tête de graves responsabilités dont, un jour, il lui sera demandé compte. La Douma et la Cour sont comme les mâchoires d’un étau qui l’enserrent et le briseront sans doute, s’il ne prend un ferme parti avant leur choc définitif.

Albert Sorel.

La science française vient d’éprouver une perte sensible en la personne d’Albert Sorel, l’éminent historien. Avec lui disparaît le représentant le plus autorisé de l’école de Taine. Cette école est aujourd’hui battue en brèche par un groupe important d’historiens érudits qui prétendent appliquer à l’Histoire une méthode purement scientifique. Leurs travaux sont dignes de l’attention la plus sérieuse. On les consulte et on les consultera longtemps sans doute, mais on les lit rarement et on les lira de moins en moins. C’est qu’il ne suffit pas, pour enseigner l’Histoire, pour la faire aimer et comprendre, d’être un savant. Il est aussi nécessaire d’être un écrivain et un artiste. Un livre d’histoire ne doit pas être écrit comme un traité d’algèbre. Les historiens de la nouvelle école compromettent sérieusement l’avenir de leurs idées en nous les présentant, le plus souvent, sous une forme impersonnelle et amphigourique. Ils tombent dans l’erreur qui consiste à croire qu’un écrivain spécialisé dans certaines études « doit parler une certaine langue ». Non, Messieurs. Il n’y a qu’une langue française. Et qu’on ne vienne pas nous dire que cette langue classique se prête mal à l’exposé des idées scientifiques : cette langue n’est pas seulement celle de littérateurs comme Flaubert et Prévost-Paradol, celle d’historiens comme Taine, Sorel, Henry Houssaye, elle est encore celle de purs scientifiques comme Claude Bernard et Berthelot. Cette langue française a pour principal mérite la clarté. On ne s’en douterait guère en lisant la plupart de nos écrits contemporains…

Albert Sorel ne fut pas seulement un maître écrivain. Il fut aussi un grand français et un brave homme. Ceux qui l’ont connu vous diront sa bonté, sa simplicité, sa modestie, aussi profondes que son érudition. La loyauté qu’il apportait à l’accomplissement de toutes ses tâches lui valut l’estime générale.

Le nombre d’étudiants qu’il a formés pendant trente années