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LES PRÉCURSEURS DE LA PUISSANCE ANGLAISE

régimes établis par de tels chefs peuvent être féconds en victoires mais ils entravent forcément l’individualisme et détruisent l’élasticité nationale. Surgissant après les longues démoralisations d’un Louis XIV et d’un Louis XV, après les crimes et les horreurs d’une révolution sanguinaire, Bonaparte, servi d’ailleurs par un génie exceptionnel, exécute son plan et marque la nation française d’une empreinte profonde. En Angleterre, les secousses ont été bien moindres et, par delà le règne agité de Charles Ier et le règne insignifiant de Jacques Ier, c’est la figure d’Élisabeth qui se dresse comme le palladium de la monarchie bienfaisante et prospère. Le parlement de plus est une institution déjà robuste et traditionnelle ; il faudrait beaucoup d’épurations successives pour en venir à bout. Cromwell n’a pas le génie d’un Bonaparte et il a moins de temps devant lui : dix années seulement qu’il emploie activement à reprendre son œuvre, à la parfaire, à la remettre d’aplomb. Successivement Lord général avec une assemblée de notables puritains, Protecteur concentrant les pouvoirs, césar gouvernant par le moyen de ses majors généraux, penchant enfin vers une sorte de royauté à demi-constitutionnelle, il cherche avant tout à « organiser » l’Angleterre. Mais l’Angleterre ne se laisse pas organiser et sa résistance épargne les sources de sa grandeur future et en réserve la possibilité.

Pourtant ce n’est pas impunément qu’un peuple remporte des victoires sur les champs de bataille et possède des troupes dont un homme de guerre comme Turenne peut dire que ce sont les plus belles du monde. Le militarisme britannique est né et désormais il faudra compter avec lui. L’existence du sentiment militaire au sein des sociétés anglo-saxonnes est un fait que les analystes ont presque constamment négligé de prendre en considération dans leurs travaux sur l’Angleterre moderne et sur les États-Unis. L’attachement aux libertés constitutionnelles et la poursuite infatigable de la richesse ne doivent pas masquer la force d’un sentiment qui, pour ne se manifester que de façon occasionnelle et temporaire n’en existe pas moins constamment à l’état latent. Tel est le résultat de l’ère cromwellienne.


iii. — GUILLAUME


Si l’on va au fond des choses, plutôt que de s’en tenir aux apparences, on constate que la période à laquelle Cromwell a laissé