Page:Revue pour les français, T1, 1906.djvu/208

Cette page a été validée par deux contributeurs.
146
REVUE POUR LES FRANÇAIS

tique d’Élisabeth en montrant combien facilement elle aurait pu s’égarer dans des voies plus séduisantes mais peu sûres. Les hasards favorables jouèrent toutefois dans son existence un rôle prépondérant et il convient de leur attribuer une large part des résultats obtenus pendant les quarante cinq années de son règne.

Ces résultats ont ceci de surprenant qu’ils ne se traduisirent par aucun signe extérieur d’extension ou de puissance. Au lendemain de son avènement, Élisabeth avait dû évacuer Calais ; elle ne le reconquit point ni autre chose d’équivalent. En dehors de quelques pêcheries embryonnaires à Terre-Neuve, elle ne possédait aucune parcelle du Nouveau monde déjà les Hollandais avaient su se tailler une place aux dépens des Espagnols. On ne saurait dire qu’elle eut une armée modèle ni même une flotte perfectionnée ; la prospérité était grande dans le royaume mais n’excédait pas ce qu’on pouvait attendre d’une longue période de repos relatif et d’économie… Élisabeth ne laissait derrière elle ni une alliance solide ni même une politique gouvernementale bien déterminée ; enfin on ne saurait spécifier de réformes précises, d’améliorations définies réalisées sous son règne. Elles existaient bien mais à l’état naissant. On ne les eut distinguées qu’au microscope. Et pourtant l’Angleterre avait subi une transformation si profonde, si radicale qu’à peine aurait-on pu la reconnaître s’il avait été possible de prendre contact avec son état d’âme, d’analyser la conscience nationale et de la comparer avec ce qu’elle était un demi-siècle plus tôt.

L’anglais jusqu’alors a regretté son isolement géographique ; désormais il s’en réjouira. Il s’est inquiété de ne pas ressembler aux autres peuples ; à présent il en sera fier. Il connaît qu’il ne faut plus se modeler sur eux, que ce qui leur réussit ne lui vaut rien et que, par contre, il a des armes à lui dont les autres ne savent pas se servir. Un orgueil méfiant a pénétré en lui et s’est mêlé à jamais avec son sang. En même temps la mer a cessé de lui être indifférente ou hostile ; il ne la comprend pas encore mais il la pressent. Enfin il a pris goût à l’effort persévérant parce qu’il en a vu les bénéfices. C’est le climat, répètent volontiers les apôtres de la théorie des milieux, qui incite l’anglais à la ténacité. Mais d’autres climats presque analogues et celui-là même, jusqu’alors n’ont point exercé pareille influence. La vérité, c’est que, dans la vie du peuple anglais, un moment s’est rencontré où le sens de