Page:Revue pour les français, T1, 1906.djvu/109

Cette page a été validée par deux contributeurs.
79
BIBLIOGRAPHIE

acte de courage, on devrait même dire de défi. Par sa forme d’abord : M. Doumer emploie un langage qui n’est pas dépourvu d’élégance, parce que la clarté et la simplicité y dominent. Mais il s’en sert pour présenter à ses lecteurs une suite de maximes et de préceptes dont il n’a pas pris garde d’habiller les contours à la mode du jour. Pas la plus légère pointe d’ironie, pas le moindre soupçon de dilettantisme, pas même de ces comparaisons luxuriantes et de ces rapprochements un peu heurtés dont le public d’aujourd’hui se montre si friand. Le fond n’est pas moins courageux que la forme. Beaucoup des théories présentes sont robustement malmenées et jetées à bas du péristyle comme jadis furent chassés les vendeurs du Temple ; beaucoup d’autres — traitement plus humiliant encore — sont passés sous silence. L’évolutionnisme par lequel les mécontents expliquent le malheur des temps et dont les novateurs se servent pour échafauder leurs réjouissantes théories d’avenir, — l’évolutionnisme n’est pas même discuté. M. Doumer s’installe au milieu des faits comme dans une citadelle sûre mais âpre d’aspect et il rudoie tous ceux qui cherchent des issues vers l’espace attirant. C’est dans les faits qu’il faut vivre de la vie solide et grave des peuples prospères en s’appuyant sur ce que Le Play dénommait le « Décalogue éternel ». Toute la morale de M. Doumer et toute sa théorie sociale tiennent là-dedans. Eh bien ! il faut une jolie vaillance pour lancer de telles idées à la tête des Français de 1906.

On conte qu’un jour le gouverneur de l’Indo-Chine sauta sur un cheval rétif ou insuffisamment dressé et se mit en tête, bien que cavalier imparfait, de lasser la résistance de la bête. Il y parvint. Nous ne savons si l’anecdote est rigoureusement exacte mais tout porte à le croire car voici le président de la Chambre qui recommence sous nos yeux l’exploit du gouverneur. Il enfourche l’opinion, animal peu commode, et prétend la mâter…

Le Livre de mes Fils se divise en quatre parties : l’homme, — la famille, — le citoyen, — la patrie. L’auteur passe en revue toutes les qualités viriles : la volonté, le courage, le sentiment du devoir, l’amour de l’action, le culte de la liberté, la pratique de la tolérance. Les parents, l’amour, le mariage, les enfants lui servent ensuite de thèmes. Dans la troisième partie, il enseigne au futur citoyen ses devoirs envers la République ; dans la quatrième, il étudie le patriotisme, la valeur du patrimoine national et la guerre. Le volume se termine par une sorte de tableau d’ensemble de l’état présent de l’univers, tableau plein de grandeur mais peut-être un peu vague, « Il est pour toi, dit M. Doumer en s’adressant à la jeunesse française, un seul et unique moyen d’être utile aux hommes qui peuplent la terre, c’est d’aimer et de servir la France ».

Tel est cet évangile trop beau, trop pur et trop complet — pas assez accessible, croyons-nous, à ceux auxquels il était destiné. L’idée pratique qui l’inspire c’est, semble-t-il, ce passage fameux d’un discours du Président Roosevelt : « Quand les hommes craignent le travail ou la guerre juste, quand les femmes craignent la maternité, ils tremblent sur le bord de la damnation » ; mais, en stigmatisant cette triple forme de lâcheté, Roosevelt n’a pas exigé des Américains la pratique de toutes les vertus. Or, il n’en est pas une que M. Doumer ne recommande aux Français comme indispensable à leur salut.

Notons avec joie, au chapitre de la Culture intellectuelle, ces lignes, qui renferment une complète et précieuse adhésion aux doctrines réfor-