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les relever ; c’était toute une civilisation qui s’éparpillait ainsi sur ces seuils misérables… Un peu après la dernière cabane, la diligence tourna presque à angle droit et coupa la ligne souterraine du railway. D’un côté une paroi à pic, noire, démesurée, montait vers le ciel ; à gauche la même paroi tombait dans le vide.

Ensuite, ce furent le silence et la nuit ; des oiseaux tournoyaient dans les airs et la brise secouait les arbres ; nous atteignîmes bientôt le sommet du col ; l’allure devint rapide sans souci de l’étroitesse de la route et de la profondeur de la gorge ; on descendait en lacets avec des détours brusques qui successivement mettaient devant nos yeux le massif du mont et les grands espaces de la plaine au delà. Un moment des points lumineux étincelèrent au flanc d’un promontoire qui s’allongeait abrupt, séparé de nous par une vallée ténébreuse ; c’étaient des fanaux électriques ; le chemin de fer devait courir là à ciel ouvert pendant quelques centaines de mètres ; on creusait dans le granit de quoi placer les rails ; le bruit des pics se répercutait sinistrement et l’éclat blanchâtre de la lumière avivait les contrastes et grandissait les proportions de ce site sauvage.

La descente s’accentuant, bientôt nous perdîmes de vue cet atelier suspendu dans les airs : la vallée s’ouvrit et gentiment niché dans un cirque de collines, San Luis Obispo apparut.


ii. — Un bain de mer dans le Pacifique

La petite ville de Santa-Barbara n’est point de celles qui peinent pour vivre ; si elle contient des pauvres, on ne s’en doute guère à voir ses habitants errer souriants dans la grande rue pleine de soleil et longue de quatre kilomètres conduisant à la plage. Cette rue est bordée de villas, d’églises, d’hôtels et de boutiques où se débitent des objets mexicains en cuir gaufré ; à travers le feuillage délicat des poivriers on aperçoit les montagnes roses et l’océan où trônent trois grandes îles séparées de la côte par un bras de mer large comme le Pas de Calais, visibles néanmoins jusque dans les détails de leur ossature tant l’atmosphère est pure et limpide. Les fleurs abondent, belles, hautes en couleur, exubérantes et aussi les Chinois qui vont et viennent de leur pas tranquille, avec leur sourire jaune et leur résignation béate ; mais