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NOTE SUR UN NOUVEL EMPLOI DU MOT « MÉTAPHYSIQUE ».

Le mot métaphysique est fort décrié de nos jours auprès des chercheurs positifs, et bien des gens repousseront énergiquement l’idée que des savants puissent jamais, en tant que tels, s’intituler métaphysiciens. Il nous semble pourtant qu’il serait possible, moyennant explication, de ramener le terme dans l’usage scientifique, et de l’attribuer comme dénomination à un ensemble de connaissances faisant partie du savoir intégré. Nous croyons même qu’il existe, dans le cadre actuel de la science, un groupe naturel de notions n’ayant pas encore reçu de nom propre, et auquel le mot en question pourrait s’appliquer assez justement. Nous allons tâcher de faire voir très brièvement quel est ce groupe naturel, et à quel titre une telle appellation lui conviendrait à nos yeux.

Le monde, considéré dans ses phénomènes généraux, est un ensemble de forces constantes, sans limites connues dans le temps ni dans l’espace, affectant l’apparence de l’absolu et agissant d’après des lois immuables sans se connaître elles-mêmes. C’est cet ensemble de forces qui constitue l’objet de la science physique, et auquel s’applique essentiellement le nom de physis. Mais à côté d’un tel monde, qui est indépendant de tout autre, et qui subsiste, au moins pour la science, par sa propre spontanéité, il en existe un second qui, sans ajouter la moindre quantité de force au premier, sans changer aucunement ses cadres ni modifier la nature de son contenu, a pour propriété fondamentale de le représenter, et cela, par une double réflexion. Ce nouvel univers, qui fait du premier une copie réduite à deux degrés, cette métaphysis, ajoutée à la physis, c’est l’ensemble des phénomènes de la Vie et de la Pensée.

La caractéristique du premier de ces mondes, c’est l’indifférence à la forme : une quantité de force toujours égale, traversant des formes mobiles et passagères en rapport avec les conditions créées, dans la masse totale, par les relations réciproques des parties, mais étrangère dans sa nature à toutes ces formes et n’étant astreinte à aucune structure déterminée : telle est la formule adéquate de la matière inanimée. Au contraire, le monde de la Vie et la Pensée, naissant dans un milieu tout fait auquel son rôle est de se conformer, a pour condition essentielle d’être un monde de formes, un système de structures, plus ou moins parfaites, adaptées à un plan donné au préalable. C’est là une nécessité qui résulte de sa définition même, et à laquelle il ne saurait se soustraire sans perdre l’existence. La forme est pour lui quelque chose de substantiel, non de phénoménal ; il n’est point fait de matière empruntant des formes quelconques, il est fait de formes auxquelles la