Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/94

Cette page n’a pas encore été corrigée
84
revue philosophique

services en vertu d’une convention formelle ; mais ce n’est pas assez : il faut encore un échange de services au delà et en dehors de toute convention ; car la vie atteindra son plus haut degré de développement seulement si les hommes sont disposés à se prêter dans certains cas une assistance gratuite.

Les chapitres que nous venons d’analyser contiennent véritablement ce que M. Spencer appelle les données de la morale. Le reste de l’ouvrage sert à expliquer et à développer cette déduction, à montrer les caractères propres de la nouvelle doctrine, à la bien distinguer des théories utilitaires déjà proposées et à indiquer comment, dans la suite de l’évolution, l’humanité doit se rapprocher de cet état social idéal où la vie de tous et de chacun sera complète.

En quoi la science de la morale se sépare des systèmes empiriques défendus tour à tour par Bentham, Mill et M. Sidgwick, c’est une question qui doit particulièrement intéresser les lecteurs anglais, qui nous intéresse seulement dans la mesure où nous aurions déjà quelque goût pour ces systèmes. L’utilitarisme empirique n’est qu’une introduction à l’empirisme rationnel. Pour ce dernier, le bien-être n’est pas l’objet que nous devions nous proposer immédiatement ; il nous serait impossible en effet, c’est l’objection ordinaire, de découvrir, par n’importe quel mode de calcul, en quoi consiste ce bien-être, ou, pour employer l’expression de Bentham, le bonheur général, , et comment nous parviendrons à le réaliser. Il n’y a aucune contradiction à soutenir que le bonheur doit être la fin dernière de l’activité et à reconnaître qu’il ne peut en être la fin immédiate. Ce que nous devons immédiatement nous proposer, c’est de nous conformer à des principes qui, dans la nature des choses, déterminent le bien-être, comme la cause détermine l’effet. En d’autres termes, l’utilitarisme rationnel proclame cette loi, facile à suivre à travers l’évolution de la conduite, que chacun des moyens à employer successivement pour atteindre la fin la plus élevée devient à son tour pour le moyen immédiatement inférieur une fin lui-même et une fin qui oblige à employer d’abord ce moyen immédiatement inférieur. Le succès dans l’emploi de ces différents moyens nous cause des plaisirs bien plus faciles à reconnaître et à acquérir que le bien-être dont ils sont cependant des facteurs nécessaires. Aussi Bentham s’est-il gravement trompé en soutenant que l’idée de bonheur est plus claire que l’idée de justice. La justice, c’est-à-dire l’égalité, l’équité des actions, est au contraire bien plus aisée à concevoir, et en admettant, comme il faut le faire, qu’elle est une condition du bonheur, un moyen d’y arriver, nous devons nous proposer de l’observer avant de nous proposer la fin suprême. À ce point de vue, plusieurs des différents systèmes de morale, critiqués plus haut, sont vrais en un sens : ils prescrivent les conditions à remplir pour arriver en définitive au bonheur ; mais ils donnent faussement ces conditions pour la fin elle-même.

S’il est impossible de déterminer par une comparaison des peines et