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conservation de l’individu, au développement de la famille et au bien-être de la société, sont le résultat de l’exercice spontané de facultés bien proportionnées, dont chacune procure par son exercice môme la somme de plaisir qu’elle doit donner. »

Si nous passons au point de vue psychologique, nous avons encore affaire au plaisir et à douleur, mais en tant que leur représentation constitue un motif réfléchi. On suit, dans l’évolution, un progrès des faits psychologiques analogue à celui que nous avons observé partout ailleurs. L’excitation devient d’abord une simple sensation ; celle-ci fait place à une sensation composée ; un groupe de sensations partiellement présentatives et partiellement représentatives donne naissance à une émotion commençante ; un groupe de sensations exclusivement idéales ou représentatives forme une émotion proprement dite ; un groupe de groupes semblables donne lieu à une émotion composée, et enfin se produit une émotion encore plus complexe, composée des formes idéales ou des représentations des émotions composées déjà définies. Le développement de la pensée est parallèle, jusqu’à ces délibérations prolongées pendant lesquelles on estime les probabilités de diverses conséquences et l’on met en balance les impulsions corrélatives de la sensibilité pour arriver à ce que l’on appelle un jugement mûrement arrêté. Les actions qui auront pour caractères d’être la suite des motifs les plus complexes, des pensées les plus développées, seront aussi celles des êtres les plus développés, et par suite celles qui sembleront avoir le plus de valeur morale.

Mais on s’est trop hâté de généraliser. S’il est vrai que l’on doive dans bien des cas subordonner l’inférieur au supérieur, les motifs présentais aux motifs représentatifs, et ceux-ci aux motifs re-représentatifs, suivant l’expression de M. Spencer, ou, pour employer des termes concrets, les sensations aux sentiments, le présent à l’avenir, et souvent faire ce qui déplaît de préférence à ce qui serait agréable, il y a de nombreuses exceptions que la science de la morale doit exactement déterminer et que l’auteur détermine en effet avec bon nombre d’exemples familiers.

C’est ainsi cependant que s’est formée peu à peu l’idée de l’obligation, émergeant par degrés des règles successivement imposées par l’autorité politique, l’autorité religieuse et l’autorité sociale, suivait une théorie particulière à M. Spencer. Ces règles n’ont été qu’une préparation à cette règle morale que nous devons nous donner nous-mêmes. Il s’en faut de beaucoup que celle-ci apparaisse déjà clairement à tous et que l’on comprenne assez quel doit être le véritable motif moral. Si nous sommes tenus de ne pas tuer, par exemple, ce n’est pas par crainte seulement du supplice auquel nous nous serons exposés, ni par crainte des châtiments d’une vie future, ni pour éviter la haine ou l’horreur de nos semblables ; c’est par la représentation des conséquences naturelles, nécessaires de ce crime : les souffrances de la victime, l’anéantissement de toutes ses espérances de bonheur, le dommage causé à