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analyses. — Herbert spencer. The Data of Ethics.

pour y souffrir et faire par nos souffrances mêmes la joie de je ne sais quelle divinité diabolique. Mais à quoi bon discuter avec les partisans de cette odieuse doctrine ? Elle est au-dessus ou au-dessous de toute discussion.

Pourquoi donc tant de difficultés à faire admettre ce principe que, si l’on tient compte des effets immédiats et des effets éloignés pour toutes les personnes, le bien est universellement ce qui procure le plaisir ? Diverses influences morales, théologiques et politiques ont amené les hommes à se déguiser cette vérité. Le plus souvent, on se préoccupe des moyens d’arriver à une fin, au point de perdre de vue cette fin elle-même. C’est ainsi que l’argent, qui n’est qu’un moyen, passe, aux yeux de beaucoup de gens, pour une fin. Mais, d’une manière générale, si nos bonnes actions produisaient de mauvais résultats, et les mauvaises de bons effets, continuerions-nous à leur donner ces noms ? Nos idées sur la qualité des unes et des autres viennent de la conscience que nous avons de la certitude ou de la probabilité avec lesquelles ces actions causeront quelque part des plaisirs ou des peines.

On arrive à la même conclusion par l’examen des divers systèmes de morale. Ils tirent tous leur autorité de ce principe suprême ; le bien qu’ils prescrivent n’est qu’un bien dérivé ; les philosophes qui les ont proposés ont pris de simples moyens pour la fin.

Il faut être parfait, dit Platon, et, depuis, M. Jonathan Edwards a repris avec plus de précision cette idée si abstraite de perfection comme équivalent de l’idée de bien. Mais l’homme parfait est celui qui est constitué de manière à adapter complètement ses actions à des lins de tout genre, et nous savons maintenant que l’adaptation complète des actes aux fins est celle qui assure et constitue la vie la plus développée : or tout accroissement de la vie ne se justifie que s’il en résulte un excès de bonheur.

Il faut être vertueux, dit Aristote, et l’idée de vertu ne se ramène à aucune autre idée plus simple. Mais qu’entendrons-nous par ce terme général de vertu ? Que trouvons-nous de commun entre le courage, la tempérance, la libéralité et les autres vertus énumérées par Aristote ? Elles n’ont assurément aucun caractère commun intrinsèque ; mais de la pratique de ces vertus, d’après le même philosophe, résulte le bonheur, et c’est là le seul caractère commun qui autorise à les désigner du même nom : c’est un caractère extrinsèque ; elles ont toutes le même but ; ce sont autant de chemins pour y arriver, et la véritable fin est, encore ici, non la vertu, qui n’existe pas, mais le bonheur.

Il faut, disent de leur côté les intuitionnistes, comme les appelle M. Spencer, et il range parmi eux Hutcheson, il faut consulter sa conscience, et l’on s’aperçoit alors que nous sommes naturellement portés, sans avoir à nous inquiéter de leurs conséquences, à juger certains actes bons et d’autres mauvais. Si les premiers tendent au bonheur, c’est en vertu d’une coordination préétablie dont nous n’avons pas à nous préoccuper. Mais comment reconnaître que ces inspirations de la