Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/80

Cette page n’a pas encore été corrigée
70
revue philosophique

pendant le dîner des morceaux savoureux, je lui avais appris à dire : « Donnez-moi un morceau. » Il le répète constamment maintenant, mais seulement pendant le dîner et d’une manière appropriée. L’oiseau associe l’expression avec quelque chose bon à manger ; mais, naturellement, il ne connaît pas plus que l’enfant la dérivation des mots dont il se sert. Étant très friand de fromage, il saisit facilement le mot, et vers la fin du dîner, et non à un autre moment, il demande constamment du fromage. Que l’oiseau attache ou non le mot à la véritable substance, je ne puis le dire ; mais le moment où il fait sa demande est toujours correct. Il aime également les noix, et quand il y en a sur la table il emploie un cri particulier ; on ne le lui a pas appris ; mais c’est le nom que Poll donne aux noix, car on ne l’entend jamais sans que le fruit soit en vue. Il a pris aux objets eux-mêmes quelques bruits qu’il reproduit, comme celui d’un bouchon qu’on tire, à la vue d’une bouteille de vin, ou le bruit de l’eau qui tombe dans un verre à la vue d’une carafe d’eau. Le passage d’un domestique qui va ouvrir la porte de la rue suggère un bruit de charnière en mouvement suivi d’un sifflement aigu pour appeler un cab.

On verra que l’oiseau associe les mots et les sons avec les objets, et, quand on lui a appris les noms exacts, on peut dire qu’il connaît les noms des choses ; il y a même plus : l’oiseau invente des noms et ces noms il les tire d’un bruit particulier. Ainsi le nom que Poll donne à l’eau est un bruit produit par un écoulement de liquide. Si un animal inférieur a cette faculté d’imiter les bruits, et s’il les exprime quand les substances qui les produisent sont en vue, il n’y a aucune objection à la théorie d’après laquelle l’homme aurait acquis le langage de la même manière. La vue d’un chat fait dire au perroquet : « Miaou », comme la vue d’un train qui passe fait dire à un enfant : « Pouff, pouff ! » Quand l’enfant grandit, il écarte le mot primitif, mais il y a eu un moment où il nommait les objets de la même manière que le sauvage ou le perroquet.

Ce caractère des mots, de n’avoir aucune signification pour l’ignorant, correspond à ce que l’on voit dans les races primitives et chez l’enfant. Ils se servent d’un mot ou d’une phrase en rapport avec un objet particulier, mais ils ne savent rien de sa racine ou de sa vraie signification. De plus, un mot en suggère un autre, de sorte qu’il y a plusieurs exemples où deux mots sont employés, associés l’un à l’autre d’une façon si constante, que l’un s’entend rarement sans l’autre. C’est la source d’un grand embarras pour mon perroquet. Si on lui adresse une phrase nouvelle et que cette phrase commence par un ou deux mots qui lui sont familiers, il se passe longtemps avant qu’il puisse l’apprendre, et même alors les