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ANALYSES. — Dr j. hoppe.Die Schein-Bewegungen.

tout autre voyageur, fuir le paysage. Plus ma pensée sera distraite, plus l’illusion sera vive ; mais cependant j’aurai beau faire tous mes efforts pour fixer mon attention, je n’échapperai pas à cette illusion. Elle ne se prête d’ailleurs évidemment pas à l’explication que nous avons ébauchée tout à l’heure.

Si je me promène dans une rue, en attachant mes yeux sur le spectacle qui leur est offert, et si j’y suis au reste suffisamment attentif pour éviter toute illusion, les images des maisons se déplacent sur ma rétine, en raison de mon mouvement ; ces déplacements sont sans doute accompagnés d’excitations spéciales et de mouvements musculaires réflexes. Cet ensemble compose un groupe brut de sensations, auquel est associée par habitude la perception du fait que les maisons sont immobiles, tandis que je suis moi-même en mouvement. Mais si mon déplacement s’accélère dans des proportions très considérables, comme lorsque je voyage en chemin de fer, le groupe des sensations rétiniennes et musculaires que provoquent les objets immobiles subit, comme on le comprend facilement, de très profondes modifications ; sur les cellules et les ganglions nerveux qui coordonnent ce groupe, l’effet ne sera plus celui auquel je suis, depuis mon enfance, habitué pour mes déplacements ordinaires. Je suis dès lors dérouté, et, en même temps que je perçois mon mouvement réel, il peut s’ensuivre une perception erronée d’un mouvement en sens contraire des objets réellement immobiles.

Mais si j’étais né et si j’avais passé ma vie dans un wagon, il est très possible que la liaison d’habitude entre les sensations brutes et la perception subjective se fût établie pour moi d’une façon toute différente, et qu’elle fût, pour le déplacement rapide, conforme à la réalité, tout aussi bien qu’elle Test, aujourd’hui en fait, seulement pour les déplacements ordinaires. Si cette hypothèse était fondée, l’illusion, telle que je la constate aujourd’hui, ne serait pas en réalité due aux sens eux-mêmes ; elle dépendrait du travail, postérieur à la sensation, qui s’accomplit dans les cellules et les ganglions nerveux de mon cerveau.

Je prends au reste cette hypothèse à mon propre compte ; les expériences et observations de M. Hoppe établissent seulement que, dans les voyages en chemin de fer, l’œil se trouve en fait dans un état de fatigue et de déroutement qui se traduit par divers phénomènes curieux. Mais ces observations ne sont nullement suffisantes, à mon sens, pour élucider la question ; elles auraient d’autre part besoin d’être sévèrement contrôlées. Pour n’en citer qu’un exemple, notre auteur dit que si l’on regarde l’ombre d’un train en marche dans lequel on se trouve, tandis que les parties de terrain éclairées qui correspondent aux intervalles des wagons paraissent se mouvoir en sens inverse, le sol semble au contraire immobile immédiatement après l’ombre du dernier wagon. Le fait ne me paraît nullement constant ; pour ma part, dès que la vitesse est suffisamment accélérée, je perçois le mouvement en arrière de cette partie du terrain avec l’intensité habituelle.