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dans de tout autres conditions que la constatation d’un déplacement sensible après un mouvement insensible.

Quelles sont donc les conditions de cette perception directe ? Les voici en gros : le déplacement sur notre rétine de l’image de l’objet, au delà de certaines limites de vitesse, occasionne sur nos nerfs une excitation spéciale, suivie de mouvements réflexes des muscles qui font mouvoir nos yeux. Ces mouvements sont, objectivement, plus ou moins complètement imperceptibles ; mais nous les ressentons subjectivement, et c’est cette seconde phase de la sensation, absolument distincte de la vision proprement dite de l’objet, qui nous donne la perception de son mouvement.

La démonstration peut se faire au moyen des mouvements illusoires que nous percevons quand les objets sont au repos et que nous ne nous déplaçons pas nous-mêmes. Ainsi, lorsqu’on regarde une statue dans certaines dispositions rêveuses et distraites, on peut la voir cligner des yeux, baisser la tête, etc. ; c’est qu’alors les muscles de nos yeux ont exécuté des mouvements analogues aux mouvements réflexes qui auraient suivi un clignement d’yeux, un signe de tête, etc., réellement faits par la statue.

Il est clair d’ailleurs qu’à la sensation brute, occasionnée par les mouvements réflexes, il faut, pour compléter la perception, ajouter un certain travail des cellules et des ganglions de notre cerveau, travail qui correspond à un jugement inconsciemment porté. En effet, si nous sommes suffisamment attentifs en regardant la statue, les illusions dont nous venons de parler ne se produiront jamais, quoique les mouvements imperceptibles de nos muscles, qui pourraient les occasionner, aient tout autant de chances d’être exécutés. Je comparerai ce travail, qui s’accomplit dans notre cerveau, à une élimination, laquelle ne laisse les sensations brutes dépasser le seuil de la conscience qu’autant qu’elles se trouvent d’accord avec les groupements habituels. Cette élimination inconsciente fait donc subsister pour nous ces groupements, alors même qu’ils se trouvent réellement détruits pour un temps très court ; elle constitue, à n’en pas douter, une des plus précieuses fonctions de notre organisme.

Nous venons de parler d’illusions qui, pour se produire, ont besoin, si l’on peut ainsi s’exprimer, d’une condescendance, d’un laisser-aller passif de la volonté. La très grande majorité de celles qu’a monographiées M. Hoppe sont dans ce cas ; elles sont donc, de fait, essentiellement subjectives, car elles varieront d’un individu à l’autre (certains n’éprouveront jamais telle de ces illusions), et, pour le même individu, elles dépendent essentiellement du jeu de la volonté. Il serait dès lors de la plus haute importance de déterminer sous quelles conditions, parmi les illusions relatives au mouvement, il peut s’en produire qui soient complètement involontaires.

Dans un train qui marche avec une grande vitesse, dont je garde la conscience bien nette, si je regarde par la portière,’je verrai, comme