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science, ajoute l’auteur, qui définit ainsi nettement l’antinomie qu’il espère résoudre la première. M. Mamiani accorde à la science contemporaine un juste tribut d’admiration, mais il ne peut s’empêcher de la juger outrecuidante et folle, quand elle prétend supprimer toute métaphysique. Qu’a-t-elle donc découvert de si nouveau sur l’origine et l’essence des choses ? A-t-elle marqué et défini le passage de l’atome matériel à la cellule, du monde mécanique au monde vivant ? Les physiologistes nous étonnent par leurs subtiles observations : ont-ils expliqué comment d’un tissu cellulaire, plus ou moins imprégné de phosphore, peuvent jaillir la sensation et la pensée, la moralité et le génie, l’âme d’un Galilée, d’un Dante ou d’un Raphaël ? La science supprime l’esprit, et réduit tout à la phénoménologie physique ou chimique, ce qui facilite bien des choses ; mais, en dehors même du domaine de l’intelligence, donne-t-elle la raison de l’instinct animal et de la merveilleuse régularité de ses effets ? Et ici se place une remarque digne d’attention : l’évolution darwinienne ou hæckelienne, appliquée soit à la morphologie, soit à l’embryogénie, explique bien, si l’on veut, les transformations plastiques des espèces, mais non leur transformation interne, le secret de leur vie instinctive, si originale dans la complexité et la spécialité propre à chacune d’elles. L’homme, par exemple, diffère peu du singe pour l’extérieur ; on peut encore admettre que morphologiquement il descende de cet ancêtre peu attrayant ; mais moralement comment expliquer l’apparition subite, dans un organisme presque identique au précédent, des cinq penchants que voici : 1° intuition de l’universel et de l’infini ; 2° sentiment de la beauté idéale ; 3° responsabilité et appréhension de la loi morale ; 4° sens religieux et adoration du saint ; 5° perfectibilité.

Il n’est pas besoin de rappeler à M. Mamiani que ces concepts, qu’il regarde comme originaux et irréductibles, sont considérés au contraire par les positivistes comme les résultats accumulés d’une lente évolution, dont on trouverait peut-être le point de départ dans l’animalité elle-même. Il n’ignore nullement ce que M. Darwin a écrit sur ce sujet, et le cite pour mémoire : mais il y voit plutôt une fantaisie d’homme d’esprit qu’une sérieuse hypothèse. Comme tout bon platonicien, il se refuse à admettre que le supérieur puisse provenir de l’inférieur, et pose la perfection comme principe final et causal de tout être et de tout devenir.

Selon lui, le sens intime de la vie échappe à la science d’aujourd’hui tout comme à la science d’autrefois, et le champ reste ouvert à la métaphysique et à la religion. La science doit même s’interdire à jamais l’ontologie.

Ni le système de Darwin, ni celui de Hæckel, ni aucun autre analogue ne peuvent être assimilés à la loi de Newton, car celle-ci ne règle que les phénomènes, tandis que les autres prétendent régler la nature même des choses, l’essence des êtres.

L’Ecole anglaise reconnaît bien cette limite du savoir, mais elle