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boirac.les problèmes de l’éducation

n’est pas seulement une psychologie exacte et complète que réclame, comme le dit M. Compayré, cette partie de l’art de l’éducation : c’est une éthologie, c’est-à-dire une science des caractères, indiquant les principaux types qu’ils présentent, les éléments qui les composent, les signes auxquels ils se reconnaissent, les lois selon lesquelles ils se forment et se modifient. Or cette science n’est pas encore constituée ; quelques psychologues contemporains en ont à peine tracé l’ébauche. Enfin, sans méconnaître l’influence décisive que les événements ultérieurs peuvent exercer sur le caractère, est-il téméraire de prétendre que c’est surtout dans la première enfance que se contractent les habitudes les plus énergiques et les plus tenaces, et que souvent, lorsque les parents et les maîtres veulent agir sur le jeune homme, il est déjà trop tard pour réformer des penchants qui n’ont cessé de se développer dès les premiers jours de la vie ? — Nous avons une preuve de l’extrême difficulté de l’éducation morale en lisant les pages si intéressantes où M. Compayré raconte l’éducation du duc de Bourgogne par Fénelon. À coup sûr, nul pédagogue n’est comparable à Fénelon en habileté. Quelques circonstances atténuantes que M. Compayré accorde à Bossuet pour l’insuccès de son éducation du Dauphin, il ne peut dissimuler au lecteur la profonde insuffisance des moyens que Bossuet employa. Ce n’est pas tout que d’esquisser un « magnifique programme d’études » ; il faut le proportionner à l’intelligence de l’élève. Si Bossuet, en pédagogie comme partout, c’est la grandeur, on peut trouver que la grandeur n’est guère de mise en pédagogie, et qu’il y vaut mieux de l’adresse et de la chaleur de cœur. Ces qualités supérieures, Fénelon les a eues au plus haut degré ; et cependant l’éducation du duc de Bourgogne a presque échoué pour avoir trop bien réussi : tant il est malaisé dans l’éducation morale, même quand on atteint le but, de ne pas le dépasser !

L’enseignement public, nécessairement adapté à une certaine moyenne non seulement des intelligences, mais des caractères, ne peut avoir sur l’éducation morale des jeunes générations qu’une influence collective et indirecte. Par les habitudes de discipline et d’obéissance qu’il impose, par les sentiments qu’il développe, émulation et fraternité entre condisciples, respect, confiance et affection pour le maître, enfin par les idées et les émotions morales et esthétiques que l’étude des sciences et des lettres éveille infailliblement dans les âmes, il contribue, quand il fait agir en concert toutes les ressources dont il dispose, à modeler d’une façon durable ce qu’on pourrait appeler la physionomie morale des êtres humains. Mais de ces diverses influences, la dernière seule, qui résulte de l’éducation