Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/688

Cette page n’a pas encore été corrigée
678
revue philosophique

ontologique, on le voit. La religion, prise dans son essence, ne sera donc plus pour lui, comme pour M. de Hartmann, l’effet d’un besoin tout subjectif de l’humanité, mais la conséquence rigoureuse et légitime d’une sorte de parenté de l’homme avec Dieu, l’élan par lequel la créature se rattache au Créateur qui l’a détachée de lui, en un mot l’expression pratique d’une vérité métaphysique.

Le but de M. Mamiani diffère ainsi complètement du but de M. de Hartmann : l’un veut donner un aliment nouveau à un besoin persistant ; l’autre veut trouver une forme plus adéquate à une réalité éternelle. Tous les deux conviennent que le christianisme ne suffit plus ; mais l’un s’en détourne avec dédain et cherche expérimentalement, en pleine liberté d’esprit, un culte qui réponde plus efficacement aux tendances intellectuelles et morales du temps présent ; l’autre s’en retire avec regret et essaye de faire entrer dans la nouvelle religion le plus possible de l’âme de l’ancienne, car il croit que la conscience de l’humanité ne change point, et que la part de vérité qui l’a satisfaite jadis devra le satisfaire encore par ce qu’elle avait d’essentiel et d’immuable.

C’est l’idée qui a poussé M. Mamiani à écrire et qu’il expose au début de son livre : Il veut faire « œuvre salutaire à tous, et en particulier à l’Italie, qui a tant besoin de fortes vertus. » Il ne se dissimule pas qu’il trouvera deux sortes d’ennemis sur son chemin, les matérialistes et les orthodoxes : ce n’est pas pour ceux-là qu’il écrit. Il demande seulement aux uns de comprendre que la religion est au moins ce que M. de Hartmann la proclame, une nécessité pratique pour le peuple ; aux autres d’admettre que ceux qui ne croient pas aux révélations positives du Verbe font néanmoins œuvre bonne en restant religieux par raison, et sont pour les croyants des auxiliaires, au même titre que les philosophes païens Platon et Cicéron, par exemple, l’ont été pour les premiers chrétiens.

Mais ceux à qui il s’adresse directement, ce sont les hommes cultivés, qui ont le sens de l’idéal et qui ne croient point que la morale suffise à assouvir la soif d’absolu, « la mysticité innée » que renferme toute âme bien faite, ceux que la marche de la science et de la critique moderne a éloignés pour jamais du christianisme et qui pourtant ne sauraient demeurer sans religion. Ceux-ci, il les conjure de chercher avec lui un point solide dans la raison même, non dans la raison discursive et dialectique, qui ne sait guère trouver que des antinomies, mais dans la raison pure, qui est l’intuition même des lois dernières de l’essence et de l’existence universelle particularisées en nous.

Il est impossible de ne pas rendre justice à la sincérité libérale et conciliante de ce noble langage. On peut regarder comme une chimère la tentative de M. Mamiani ; mais on ne saurait nier qu’elle n’offre le plus haut intérêt philosophique et psychologique à quiconque voudra faire l’histoire morale de notre temps. C’est à ce point de vue surtout, comme document plutôt que comme argument, que nous analyserons