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étroitement avec ses principes philosophiques et surtout sa doctrine pratique que la théorie d’une félicité progressive.

La croyance en Dieu n’est pas plus innée que tout autre concept. La contemplation de l’ordre et de la finalité cosmiques nous élève à l’idée d’une sagesse et d’une puissance organisatrices. Mais la téléologie physique ne nous apprend rien de la bonté, de la perfection morale de l’Être suprême : ses inductions défectueuses ont besoin d’être complétées par les intuitions de la téléologie morale[1].

Et voici comment se développe, sous l’action de la conscience, la notion du devoir, dont le spectacle du monde nous a suggéré la première idée. L’homme le plus ignorant, pourvu qu’il soit capable d’entendre la voix du devoir, ne peut pas ne pas se demander à certains moments : Quelle est cette puissance mystérieuse qui me commande de sacrifier à ses ordres et le monde et la vie, et n’a pour se faire obéir ni promesses ni châtiments, et qui me fait prendre en pitié la nature et ma propre existence, quand j’ai eu la faiblesse de les préférer un moment au devoir ? Et par quelle autre réponse se satisfaire, qu’en regardant de si hautes pensées comme l’inspiration d’un être supérieur à la nature, d’une puissance éminemment morale ?

« Supposez un homme, nous dit la Critique du jugement, dans un de ces moments où l’âme est ouverte aux impressions du sentiment moral. S’il goûte au sein d’une belle nature le repos et la sérénité d’une existence satisfaite, il éprouve le besoin de rendre grâces à quelqu’un de sa félicité présente. Qu’il se trouve une autre fois dans les mêmes dispositions morales, mais partagé entre des devoirs auxquels il ne peut satisfaire qu’en sacrifiant l’un d’eux, il sent le besoin de se persuader qu’il n’a fait qu’exécuter un ordre et obéir à un maître supérieur. Ou encore qu’il ait manqué par mégarde à son devoir, sans que pourtant sa responsabilité soit engagée vis-à-vis des hommes, des remords énergiques, qui lui reprochent son action, lui semblent la voix d’un juge qui lui demande compte de ce qu’il a fait[2]. » Ces divers sentiments de reconnaissance, d’obéissance, d’humilité s’associent donc en lui à l’idée d’un Être supérieur, qui est à la fois un bienfaiteur, un législateur et un juge ; et ces trois attributs achèvent la notion de la divinité. « Ils comprennent tout ce qui fait de Dieu l’objet de la religion[3]. »

La conscience de Kant ne se contente pas toutefois de cette conception religieuse, et nous trouvons dans les quatre premiers cha-

  1. Voir surtout la Critique du jugement, la Religion et le Combat des facultés.
  2. Critique du jugement.
  3. Critique de la raison pratique.