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d. nolen. — la critique de kant et la religion

être que l’homme sous les lois morales (unter moralischen Gesetzen). Je dis avec intention : l’homme sous les lois morales, et non l’homme d’après les lois morales (nach moralischen Gesetzen), c’est-à-dire l’homme en tant qu’il vit conformément à ces lois, voilà la fin suprême de la création. En nous servant de la dernière expression, nous dirions plus que nous ne savons. Nous affirmerions qu’il dépend du Créateur de faire que l’homme puisse en tout temps se conformer aux exigences de la loi morale, ce qui suppose un concept de la liberté et de la nature, qui dépasse de beaucoup notre science et notre entendement. Nous ne prétendrions, en effet, rien moins que pénétrer le substratum suprasensible de la nature, et découvrir qu’il ne fait qu’un avec le principe qui rend possible dans le monde l’action d’une causalité libre. Nous ne pouvons parler que de l’homme sous les lois morales, si nous ne voulons pas o franchir les bornes de notre savoir : c’est de celui-là seulement que nous avons le droit d’affirmer que son existence est la fin suprême du monde. »

La vertu qu’il faut attendre de l’homme n’est donc pas l’entière conformité de la volonté à la loi morale, mais une soumission aussi complète que possible à cette loi ; et le souverain bien consiste, comme Kant l’indique dans la suite du même passage, dans le rapport de notre félicité à cette moralité relative : « D’après nos concepts d’une libre causalité, la bonne ou mauvaise conduite vient de nous ; et la tâche de la sagesse suprême dans le gouvernement du monde est de nous fournir l’occasion de la première, et d’attacher à l’une et à l’autre les résultats que demandent les lois morales. »

Il est bon d’avoir présente à l’esprit cette conception incidemment exposée du souverain bien, dans l’examen qui va suivre de la doctrine bien différente, que Kant soutient habituellement, la théorie célèbre des postulats.

Le postulat de l’immortalité repose sur la nécessité d’une existence indéfinie de l’individu. La volonté ne peut satisfaire autrement à la première condition du souverain bien, celle d’une progression sans fin vers la sainteté.

Kant pose ici en principe que la vertu est possible, et qu’elle est capable d’un progrès incessant. La logique exige qu’il commence par établir une telle possibilité, s’il veut justifier théoriquement la valeur de la conclusion qu’il en tire, le postulat de l’immortalité. Or nous cherchons vainement chez lui une telle démonstration : la raison pratique croit à la possibilité de la vertu, comme de la liberté ; elle ne la prouve pas. Supposons pourtant la démonstration faite : il reste à montrer que la vertu a réellement commencé dès