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delbœuf. — le sommeil et les rêves.

mais en réalité ? où sont les génies des inventeurs de l’écriture et de l’imprimerie, ces deux puissants auxiliaires de la mémoire, sinon dans ces milliers d’ateliers qui, sans relâche, contribuent pour une si large part à faire pénétrer la pensée et la vérité dans les pays les plus lointains et dans les intelligences les plus rebelles ? Et que deviendront les germes qu’ils sèment partout ?

Suppositions aventureuses et chimériques ! s’écrieront certains esprits. Aujourd’hui, il nous faut des faits, nous voulons des faits ! — Eh bien soit ! vous voulez des faits, le rêve vous les fournira. Le rêve, — et ceci est ma dernière conclusion et, en même temps, la justification du titre de cette étude, — le rêve est une ouverture dérobée par où nous pouvons de temps en temps jeter un coup d’œil sur l’immensité des trésors que la nature amasse d’une main infatigable et parmi lesquels, à notre grande surprise, nous retrouvons parfois un lambeau d’une pensée insignifiante et fugitive qu’elle n’a pas jugée, elle, indigne de figurer dans ses collections. Le passé est un songe, disait Pénélope. Ah ! combien il est plus vrai de dire que les songes sont le passé. Ils ne sont rien que le passé. Ils ne nous dévoilent pas l’avenir ; mais, profitant de notre indifférence momentanée pour le présent, ils nous racontent le passé dans des pages fragmentaires, bien décousues, et d’aspect indéchiffrable. Mais qui sait ? la Terre, elle aussi, a conservé précieusement ici une mâchoire, là une vertèbre, ici une empreinte d’une plume ou d’une écaille, là — le dirai-je ? — une empreinte d’excrément ; et la paléontologie, avec ces vestiges informes, refait l’histoire de notre planète. Le peu que nous laisse entrevoir le rêve nous suffit pour affirmer que, dans le monde de la pensée, rien ne s’oublie ; tout est inscrit, classé, étiqueté. Dans quel but ? Il n’est pas facile de le deviner. Cependant l’Asplenium, qu’une nuit, grâce au rêve, j’ai revu par hasard, est cause que j’ai écrit ce livre où des centaines de lecteurs trouveront matière à de nouvelles réflexions, et que tous leurs efforts, réunis à ceux de leurs descendants, jetteront peut-être quelque lumière sur l’un ou l’autre des obscurs mystères que renferme l’âme humaine.

J. Delbœuf.