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boirac.les problèmes de l’éducation

opposition de vues. L’Etat veut que la nation soit brave, industrieuse, éclairée. L’Église demande une soumission aveugle, une crédulité sans bornes. De là… une éducation hésitante, tiraillée en sens opposés, qui ne sait pas nettement où elle va, qui s’égare, tâtonne et perd son temps. » Un an après l’Émile de Rousseau, parait l’Essai d’éducation nationale de La Chalotais, où on lit : « Comment a-t-on pu penser que des hommes qui ne tiennent point à l’État, qui sont accoutumés à mettre un religieux au-dessus des chefs des États, leur ordre au-dessus de la patrie, leur institut et leurs constitutions au-dessus des lois, seraient capables d’élever et d’instruire la jeunesse d’un royaume ? L’enthousiasme et les prestiges de la dévotion avaient livré les Français à de pareils instituteurs, livrés eux-mêmes à un maître étranger. Ainsi l’enseignement de la nation entière, cette portion de la législation qui est la base et le fondement des États, était resté sous la direction immédiate d’un régime ultramontain, nécessairement ennemi de nos lois. Quelle inconséquence et quel scandale ! » La Révolution française, qui instituait un nouvel ordre de choses, devait être forcément appelée à tenter une réforme de l’éducation, pour l’accorder avec les conditions fondamentales de l’ordre social et politique qu’elle inaugurait. Voilà donc une nouvelle idée de l’éducation qui apparaît, ou, pour mieux dire, voilà l’idée antique qui reparaît, celle-là même que nous avons trouvée tout d’abord dans Platon.

M. Compayré a bien vu, chemin faisant, ces transformations incessantes de l’idéal pédagogique, et il les a exprimées avec beaucoup de force dans une page que nous ne pouvons nous empêcher de citer, parce qu’elle confirme et résume tout ce qui précède : « Au fond de tout système pédagogique, il y a toujours une pensée dominante et essentielle. Au moyen âge, — et le moyen âge s’est continué dans les écoles des Jésuites, — c’est la pensée du salut, c’est la préparation de famé à la vie future. Au xviie siècle, c’est la conception d’une justesse parfaite d’esprit jointe à la doctrine du cœur : tel fut l’idéal des solitaires de Port-Royal. En 1792, la politique est devenue la préoccupation presque exclusive des éducateurs de la jeunesse. Tout le reste, religion, finesse du jugement, noblesse du cœur, est relégué au second plan. L’homme n’est plus qu’un animal politique, venu au monde pour connaître, aimer et servir la constitution. Ainsi, dans l’histoire de l’éducation comme ailleurs, nous voyons que l’humanité procède par une succession de points de vue exclusifs, mettant tour à tour en saillie les différentes faces du problème, comme si elle était incapable de les saisir et de les embrasser à la fois. »

Mais un tel aveu ne prouve-t-il pas l’impuissance de la méthode