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tions, des attitudes. Sur ce sujet, l’antiquité avait déjà rassemblé nombre de remarques[1].

J’ai donc rêvé de mes lézards favoris et de ma cour. Voilà les premières données de mon rêve. Mais c’est parce que l’expérience m’a habitué à mettre de la suite entre mes idées que j’ai rêvé de lézards dans ma cour. Il se passe dans le rêve quelque chose de tout à fait analogue à ce qui arrive dans la vie ordinaire. Si quelqu’un parle et que je n’entende distinctement que des mots isolés : lézards, cour…, je rétablis — quelquefois à faux — l’enchaînement qui m’échappe, et je remplis les vides : Il y a, il y avait des lézards dans la cour.

Pourquoi ai-je rêvé neige ? Peut-être à ce moment sentais-je du froid. Mais c’est également par cette raison que j’ai mis la neige dans ma cour. Voilà le fondement de la propriété que M. Maudsley reconnaît aux idées « de se combiner naturellement en manière de drames, quoiqu’elles n’aient pas entre elles d’associations connues, ou même qu’elles soient tout à fait indépendantes, voire antagonistes[2]. » Cette pensée appartient aussi à Hume, qui accorde aux idées la faculté de s’attirer mutuellement et de s’agglutiner. Elle se trouve déjà dans Lucrèce, qui l’avait lui-même empruntée à Démocrite[3].

Quant à la combinaison des idées antagonistes, je me suis déjà expliqué sur ce point[4]. Nos rêves sans doute peuvent nous donner le spectacle de métamorphoses directes, comme nous en lisons dans les ouvrages, comme nous en voyons parfois dans la nature, et comme nous en offrent les marionnettes ou les féeries[5]. Mais il ne faut pas prendre tous les changements de scène ou de personnages pour des métamorphoses. Ainsi, dans mon rêve, j’ai été transporté tout à coup de ma cour dans la campagne, puis de la campagne dans une forêt ; cela ne veut pas dire que j’aie vu ma cour se changer en campagne, les murailles tomber, la verdure remplacer la neige, et le vaste horizon absorber mon coin du ciel ; il s’est produit un phénomène que M. Maury compare avec beaucoup de justesse aux vues dissolvantes[6]. C’est comme si l’on projetait sur le même écran, à la même place, au moyen de deux lanternes magiques, deux tableaux, et qu’on éclairât progressivement ou brusquement l’un pendant qu’on éteindrait l’autre. Et, au fond, certaines données du

  1. Comp. Lucrèce, De Natura rerum, chant IV, 1025 et suiv.
  2. Voir première partie, octobre 1879, p. 334.
  3. De Natura rerum, chant IV, 722 sqq.
  4. 1re  partie, n° d’oct., p. 341.
  5. On peut rapprocher des scènes à métamorphoses les scènes à miracles. Cf. une observation de M. Maury, ouvrage cité, note II, p. 467.
  6. Ouvrage cité, p. 146.