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delbœuf. — le sommeil et les rêves.

Voici une observation, entre cent, qui corrobore cette manière de voir. Au moment de m’endormir, je repassais dans ma tête des couplets que j’ai composés il y a plus de vingt ans et dont voici, le refrain :

Je vais là-bas retrouver mes ennuis.

Arrivé à la fin du troisième couplet, le sommeil s’empare de moi, et subitement ce vers fut remplacé par celui-ci :

Je vais là-bas rencontrer des débris.

Sur ce, je fus brusquement secoué de ma somnolence, et je me rappelle très bien que je voyais une maison écroulée dans une rue de Bruxelles, la rue Nuit et Jour, qui a été récemment le théâtre d’un accident semblable. Or la substitution est évidente et trahit, je le dirai volontiers, les méprises de la langue. On conçoit sans peine que l’on puisse, de la même manière, composer un couplet, un fragment de poème, sur un patron réel qui vous donne le rythme, le nombre, la mesure et la syntaxe. Sans doute ces substitutions répétées donneront de temps en temps lieu à des fautes contre la langue et contre la versification surtout, dont les règles nous sont ordinairement moins familières ; mais ces fautes ne me détournent pas de croire, par exemple, que c’est un grand poète que j’ai travesti dans ces deux vers qui brillent plus encore par l’absence de raison que de rime :

Que Dieu, sortant vivant de son tombeau natif,
Parcoure en souriant ses radieux pontifes !

Et pourtant je ne saurais décrire le ravissement où me jetait le divin poème qui contenait, entre autres, cet admirable distique.

Certes, l’explication que je viens de donner ne peut convenir à tous les cas. Mais l’essentiel n’est pas tant de décomposer individuellement tous les faits particuliers, que de montrer qu’ils sont tous susceptibles d’être réduits en leurs éléments.

Appliquons donc ces principes à mon rêve des lézards, reconstituons-le dans ses détails, et rattachons-y les remarques qu’il me reste à présenter.

Il serait assez difficile de déterminer à quelles espèces de suggestion je dois d’avoir rêvé de lézards et plus tard d’Asplenium. Mais, comme je viens de le dire, peu nous importe ; l’essentiel, c’est de posséder un principe général. Ce principe, c’est l’association des idées, des mots, des sons, des besoins, des mouvements, des sensa-