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Mais à leur tour ces conceptions et ces intuitions, de quel droit revêtent-elles à nos yeux le caractère, je ne dis pas de vérités absolues, mais même de vérités. Ce sont des faits, dites-vous. Vous le voyez donc bien, il faut toujours en revenir aux faits ; pourquoi ne pas s’y tenir dès l’abord ? Le fait seul a pour nous une certitude, absolue ou non, la seule en tout cas dont nous soyons capables, qui suffit du reste à la vie de la pensée. Le vrai est en somme un phénomène psychique, comme le chaud et le froid sont des phénomènes sensibles. « Chercher la vérité en dehors de ce même phénomène psychique, c’est chercher le chaud en dehors du corps, sa seule condition possible. » Qu’est-ce que la vérité, sinon un rapport de la représentation et de la réalité, son objet ? Et où ce rapport peut-il se rencontrer, si ce n’est dans une conscience ? « Cela est si vrai que le métaphysicien, pour trouver une vérité au dehors et au-dessus de l’homme, est forcé d’imaginer un autre esprit — c’est-à-dire un phénomène analogue à celui qui se présente dans l’homme — pour l’y placer. Il ne s’aperçoit pas du cercle vicieux où il s’engage ainsi. Cet autre esprit ajouté à l’esprit de l’homme est toujours un esprit d’homme, qu’on le grandisse autant qu’on le voudra. Et ainsi la vérité qu’on y considère est une copie de la vérité telle qu’elle est dans notre esprit. » Elle est absolue, dit-on. Et en fin de compte, quand on veut établir son existence, sur quoi se repose-t-on, si ce n’est sur la vérité relative qui est en nous, sur un fait de conscience, dernier secours de l’idéaliste transcendant ?

Le positiviste n’est donc pas un métaphysicien déguisé. En tout il s’en rapporte au tout, et le sait, et le proclame. Que s’il semble accorder de la valeur à des anticipations logiques, comme l’idée de causalité, c’est qu’il y est poussé par une inclination héréditaire, mais il ne la sent que parce qu’il expérimente, dans les mille rencontres où il a l’occasion de la vérifier, qu’elle est confirmée par les faits, qu’elle est, comme toutes les idées vraies, une donnée expérimentale. Mais pour lui être vrai, c’est être conforme à l’expérience. Et c’est par erreur qu’on a pu lui attribuer la croyance en la valeur transcendantale d’idées à priori. Telles sont les cinq illusions qui ont pu porter le métaphysicien de la Revue des écoles italiennes à prédire la renaissance de la métaphysique. Le fait est que la métaphysique véritable, c’est-à-dire la recherche de l’absolu, de l’au delà, du transcendant, s’en va sans retour et fait place à l’étude des faits, qui envahit lentement mais sûrement les domaines jusqu’ici occupés par l’ancienne philosophie. M. Ardigò croit voir même des symptômes d’une transformation prochaine dans le sens de l’expérience au sein des écoles métaphysiques italiennes ; elles ne peuvent en effet se rajeunir sans se rapprocher des faits-, elles ne peuvent se rapprocher des faits sans cesser d’être métaphysiques.