Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/60

Cette page n’a pas encore été corrigée
50
revue philosophique

ne peut se faire à la fois, et qu’il faut bien prendre garde à ne point poursuivre en même temps des buts trop nombreux, de crainte de fuir les uns en courant après les autres.

L’étude des doctrines de l’éducation nous facilitera-t-elle du moins la solution du problème initial de la pédagogie ? Une revue générale de ces doctrines, d’après M. Compayré lui-même, nous persuadera du contraire.

Ainsi, d’après Platon, le but essentiel de l’éducation, c’est de faire des hommes vertueux et entièrement soumis et dévoués à l’État : but moral et politique. Seuls les philosophes reçoivent dans la république platonicienne une éducation proprement intellectuelle ; mais cette éducation même est un moyen : la fin demeure toujours la prospérité matérielle et morale de l’État. À Rome, on s’efforce de faire d’abord des citoyens et des guerriers, plus tard des lettrés et des rhéteurs. Au moyen âge, l’idéal change avec les milieux et les époques ; mais l’École le marque de plus en plus à son empreinte, et n’y laisse à la fin qu’une érudition et une dialectique purement verbales. Rabelais veut que l’élève à la fois fortifie son corps par l’exercice et intéresse son esprit à l’étude de toutes les vérités : il ne s’effraye pas d’en faire « un abîme de science ». Pour Montaigne, le but n’est pas de savoir tout, c’est de bien savoir ce que l’on sait ; c’est déjuger plutôt que de connaître, de devenir, non pas une encyclopédie vivante, mais un esprit avisé, sûr, qui voie clair dans les affaires de la vie.

Avec les Jésuites se fait jour une nouvelle et très vive préoccupation, celle de la culture littéraire. Mais est-il bien sûr que le véritable but de leur système d’éducation ne soit pas ailleurs, dans ce que M. Compayré appelle leurs « visées politiques et religieuses » ? et l’art de parler et d’écrire avec correction et élégance est-il autre chose pour eux qu’un de ces éléments décoratifs, si bien caractérisés par Herbert Spencer et dont la convention fait tout le prix ? Leur ordre, au moins à l’origine, eut toujours cette habileté de ne point heurter de front les opinions reçues dans le monde, mais de les flatter plutôt et même de les satisfaire en s’y pliant, car tout moyen lui semble bon qui contribue à retenir et à accroître la clientèle. Au seizième siècle, l’humaniste était à la mode ; les Jésuites s’efforçaient donc de faire des humanistes. Peut-être n’avaient-ils pas prévu que la mode dût changer ; et de fait, si elle a changé, ce n’est point leur faute, et on est bien forcé de reconnaître qu’ils ont presque réussi à l’immobiliser, puisqu’à peu de chose près c’est encore l’humaniste qui est resté l’idéal de l’Université dans l’enseignement littéraire classique. Mais, malgré leurs efforts pour perpétuer leur système d’éducation, et en dépit de l’apparente immutabilité de leurs programmes, ils