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notices bibliographiques

c’est là le sens commun, on avouera du moins qu’ « il n’est pas déjà si commun ». La vérité est que La Fontaine a une raison libre et fine, qui le met à égale distance des docteurs et de la multitude. La vérité est encore que sa philosophie consiste surtout dans sa morale, qu’il est arbitraire de les séparer, comme fait M. Kulpe, que La Fontaine philosophe c’est d’abord La Fontaine moraliste, et que la région où s’exerce le plus volontiers sa pensée est celle des vérités moyennes et pratiques. Cela dit, nous ne faisons nulle difficulté de reconnaître que le poète, en plus d’un endroit, a élevé son vol ; que l’on peut lui demander son avis, en y mettant toutefois la réserve dont il nous donne lui-même l’exemple, sur mainte question abstraite et de haute portée. Et nous ne voulons pas seulement parler ici de la discussion qu’il a conduite avec tant d’insistance et de souplesse à la fois contre la doctrine de l’automatisme ; mais sur la nature et ses lois, sur l’astrologie, sur les erreurs des sens, il a semé des vers connus, d’une grande beauté philosophique, des traits dignes de Lucrèce et que M. Kulpe, ce semble, aurait dû recueillir, sans en abuser.

Suivons cependant l’auteur sur le terrain quelque peu étroit où il s’est placé. Encore est-il juste d’avouer qu’il s’y assied avec une érudition plus que suffisante. Ainsi l’opinion de La Fontaine sur l’âme des bêtes lui fournit l’occasion de rappeler quels étaient, à l’endroit des animaux, les sentiments des Indiens, des Grecs, des Hébreux, des Romains et des Barbares. Il énumère ensuite, avec la même conscience, depuis Galien, Plotin, Porphyre, Élien, jusqu’à Carus (Psychologie comparée), Pertz (L’âme des bêtes), Wundt (L’âme des hommes et des bêtes), Flourens et Körner (L’instinct et la volonté libre), en passant par Descartes, Gassendi et Condillac en France, par Reimarus, Fleming et Fichte en Allemagne, les noms des principaux philosophes ou savants qui se sont occupés du rang à assigner aux bêtes dans l’échelle des êtres. Descartes, comme de juste, a une place d’honneur dans cette revue, puisque c’est la doctrine cartésienne à l’égard des animaux qui a provoqué les fables de La Fontaine sur le même sujet. M. Kulpe connaît et cite les différents passages de Descartes relatifs à l’automatisme des bêtes. Voilà qui est bien, sans nul doute, mais à la condition de ne pas négliger les textes qui, dans cette matière, ont le droit de figurer au premier rang. Sur les opinions de La Fontaine, pourquoi ne pas consulter de plus près, et en plus d’endroits, La Fontaine lui-même ? Pourquoi se borner à l’apologue : Les deux rats, le renard et l’œuf, lorsque dans d’autres fables telles que : la souris et le chat-huant, Les lapins, etc. ; il y avait des renseignements précieux à puiser ? Cela valait mieux peut-être que de se perdre en ces longues dissertations métaphysiques, bibliques et physiologiques, où se complaît l’auteur. Sous le poids des doctes théories qui s’entassent ainsi pêle-mêle, le lecteur cherche péniblement à dégager la philosophie de La Fontaine, chose légère et ailée, s’il en fut ! Il trouve surtout, à la place, la philosophie de M. Kulpe.