Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/584

Cette page n’a pas encore été corrigée
574
revue philosophique

tiques. Mais elle ne peut satisfaire entièrement notre esprit ; elle provoque nécessairement cette nouvelle question, objet de la métaphysique : Comment la connaissance expérimentale est-elle possible ? La métaphysique ne peut donc se développer que postérieurement à la science qui en provoque la culture. Le rôle de la raison est architectonique ; cette faculté ne se manifeste qu’en s’exerçant dans l’acquisition de la science.

Kant insiste sur régale réalité du monde nouménal, bien qu’il ne s’explique pas d’une manière bien nette et bien satisfaisante sur les rapports de l’un et de l’autre. Il admet donc que nous pouvons avoir d’autres connaissances certaines que celles que nous acquérons d’après les données de l’expérience et sous la forme des catégories.

Depuis quelques années, il s’est formé en Allemagne une école néo-kantienne, dont Lange, l’auteur de l’Histoire du matérialisme, a été l’un des réprésentants les plus célèbres ; mais les théories de cette école n’ont avec celles de Kant qu’une ressemblance superficielle, et les nouveaux philosophes se montrent à chaque instant infidèles à la pensée de leur maître. Lange déclare que toutes les croyances métaphysiques ne sont que des imaginations poétiques, qu’elles peuvent apporter des consolations à notre âme et exercer une heureuse influence sur notre conduite morale, mais qu’elles n’ont aucune réalité. Il soutient que le positivisme seul peut nous fournir les armes nécessaires pour combattre le matérialisme. Bien loin donc de reprendre la doctrine de Kant, il revient au phénoménisme de Hume et même au point de vue du vieux Protagoras, la théorie de la Relativité de toute connaissance. Kant au contraire s’était attaché à montrer qu’on ne peut admettre et comprendre l’existence des phénomènes qu’en les ramenant à une unité supérieure.

Les néo-kantiens ont la prétention de répandre sur la philosophie critique les lumières de la pensée moderne et en particulier de la physiologie. Ils expliquent en effet les phénomènes de conscience en les ramenant aux phénomènes de la vie organique. Ce point de vue est tout à fait étranger à Kant et n’avance en rien la solution du problème des conditions de la connaissance expérimentale. De plus, Lange prétend que les choses en soi, dont il admet l’existence comme condition nécessaire de nos représentations, sont absolument inconnaissables ; or nos organes et leur mode de fonctionnement ne nous sont connus que par la représentation que nous en avons et sont par suite inconnaissables : le nouvel idéalisme subjectif aboutit donc à une contradiction.

Le principal tort de Lange est d’avoir confondu le domaine de la science et celui de la métaphysique, dont Kant avait si bien marqué la distinction ; l’un est donc amené à soutenir qu’il n’y a pas d’autre réalité que le mécanisme naturel, tandis que, d’après l’autre, rien n’est intelligible dans l’ensemble ni dans les détails qu’à la lumière de la téléologie.

Kant a rendu par conséquent à la philosophie le service incontestable