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ANALYSES. — e. last. Mehr Licht.

pérer. Si ce monde n’est qu’une illusion, nos efforts ne sont que les agitations stériles de gens qui se bousculent sans avancer ; si tout est accompli, si rien n’est à faire, je maudis l’ironie de la vie présente qui n’a plus aucun sens, et de la douleur sans l’espérance naît en moi la pire des douleurs, la haine. Non, je souffre parce que je vis, parce que je lutte, être imparfait dans un univers imparfait ; je souffre parce que le mal, la discorde et la guerre sont des réalités ; je souffre, et je supporte et j’aime ma souffrance parce qu’elle donne à ma vie un intérêt dramatique, parce que peut-être elle est utile, parce que sans doute elle est un fragment de l’effort universel vers un but que j’entrevois à la lumière de l’espérance. La nature n’est ni divine ni maudite ; le problème qui s’impose à nous, qui la connaissons de mieux en mieux et nous sentons quelque chose d’elle, ce n’est pas de la détruire, c’est de la concilier avec l’esprit qui ne lui est pas étranger, puisqu’il est sa créature. Nous ne sommes pas dans l’absolu, dans le parfait ; l’espace et le temps ne sont pas que des formes illusoires ; le monde de l’effort et du progrès n’est pas un fantôme ; notre souffrance n’est pas une folie de l’égoïsme ; l’espace est la condition de la pluralité ; le temps est la condition du progrès ; le terme de l’effort c’est l’unité de la pluralité, c’est la concorde et l’harmonie —, le réel, c’est le travail, c’est la volonté soutenue par l’amour, c’est aussi la guerre et la haine ; la vérité, c’est le mouvement vers la paix, par le développement de l’intelligence, qui de plus en plus comprend, par l’élargissement du cœur, dont la sympathie s’universalise comme l’intelligence. Je le crois, la charité contient le secret du monde ; mais ce n’est pas qu’elle soit ce qui est, c’est qu’elle éclaire le mystère de l’effort universel, la loi des lois, le terme idéal où tout s’efforce encore vainement ; ce n’est pas qu’elle soit la réalité présente dégagée de l’illusion, c’est qu’elle exprime la réalité de l’avenir, dont l’attrait soutient l’univers, est la raison de son être et de son labeur ; c’est aussi qu’en nous montrant dans un être la réalité de notre espérance elle nous rassure et nous fait pressentir dans la bonté d’une âme la possibilité de la paix universelle.

Ce qui laisse tout son intérêt à cette œuvre, c’est sa bonne foi. L’auteur est femme et ne le cache pas ; sa sincérité porte avec elle sa récompense. L’histoire d’un esprit offre toujours un attrait psychologique et comme une séduction morale. Peut-être aussi n’est-il pas indifférent de voir comment les idées de deux philosophes tels que Kant et Schopenhauer se transforment, se simplifient et s’éclaircissent pour devenir la religion d’une femme ? Ce que l’auteur cherche, c’est bien une foi ; ce qu’elle demande à la philosophie, c’est le salut de l’âme : aussi sa pensée est pleine de son cœur. Elle ne veut pas entendre ceux qui lui refusent l’art, la liberté, la morale et l’amour ; elle s’indigne contre le matérialisme qui lui offre le plaisir et la possession du monde, mais ne lui laisse le droit que de s’aimer elle-même. Dès qu’elle croit avoir trouvé la vérité, elle s’y tient, elle s’y renferme ; elle oublie les prémisses, elle ne garde que les conclusions ; les objections disparaissent,