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réfléchie : c’est le premier pas. Suivant l’auteur, qui s’inspire de Schopenhauer, considérée dans ses principes les plus généraux, dégagée des erreurs de détail qui croissent sur le tronc primitif et en épuisent la sève, la religion est un symbole, un langage intelligible à tous, la forme la plus élevée de l’art ; elle rend l’idée visible dans une image ; elle résout un problème en racontant une histoire ; d’une vérité elle fait une légende, d’une loi morale une action divine, et elle satisfait ainsi aux besoins des humbles esprits, qui n’ont pas la force intellectuelle de contempler la vérité dégagée de toute forme sensible. Peu à peu, la lettre tue l’esprit ; pour faire de la religion un instrument de domination, on multiplie les dogmes et les pratiques ; on décrète articles de foi un tas d’erreurs, démenties par la science ; on détruit la responsabilité par le péché originel, la liberté par la grâce ; on invente un petit monde artificiel sans rapport avec l’univers réel, et on espère assez solidement enchaîner l’esprit dans cette prison pour qu’il ne puisse reprendre son libre mouvement. La religion est condamnée à disparaître, parce qu’on l’a fait mentir, et elle ne renaîtra pas sous une forme nouvelle, parce que, pour fonder une religion en accord avec la science et dans laquelle se résumeraient les besoins de l’esprit moderne, il faudrait un grand homme, des apôtres et des croyants, et que pour cette œuvre on ne trouverait aujourd’hui qu’un charlatan, des intéressés et des dupes.

L’étude de la nature suscite le matérialisme, dont le rôle est « de préparer le champ libre à la philosophie », en supprimant la religion. Il insiste sur les conflits de la science et du dogme ; il oppose à la création ex nihilo l’indestructibilité de la matière ; à la légende des sept jours, le nombre indéfini de siècles que remplit la lente évolution des choses ; au petit monde, presque réduit à la terre, qu’ont inventé les théologiens, l’univers tel qu’il se découvre à nous, dans son immensité, dans la régularité de ses lois, dans le mouvement continu de sa marche progressive. — Le matérialisme n’est bon qu’à détruire les préjugés religieux ; quand on s’en est servi, il faut le combattre. Nous trouvons dans cette polémique les qualités et les défauts, qui répandent sur tout cet ouvrage un charme d’ardeur naïve et comme un parfum de foi religieuse : l’enthousiasme, l’inquiétude morale, une tendance chez l’auteur à croire évident ce dont il ne doute pas, à prendre sa conviction pour une preuve, son admiration pour un argument, et à s’étonner presque avec indignation de ce qu’on résiste à ce qu’il aime.

L’auteur cherche d’abord à intéresser ses lecteurs à la lutte qu’il entreprend contre le matérialisme ; il s’adresse au sentiment : il veut persuader avant de convaincre. On a beau raffiner, déguiser, la morale matérialiste ne peut être qu’une morale de plaisir. « C’est une doctrine pour la jeunesse fougueuse, assoiffée de jouissance, pour les égoïstes, pour les tyrans ; mais l’homme juste, l’homme de bien, où trouvera-t-il dans la vie une compensation à la souffrance, à l’oppression ? où le malade et le mourant une perspective consolante ? Comment l’homme enfermé dans cette courte existence de poussière d’atomes aura-t-il