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une réminiscence de cette lecture dans les endroits où Descartes distingue « les choses qui dépendent de nous, comme la vertu et la sagesse, de celles qui n’en dépendent pas, comme les honneurs, les richesses et la santé[1]. » — « Et même, dit-il encore, à cause que presque toutes les choses du monde sont telles qu’on les peut regarder de quelque côté qui les fait paraître bonnes, et de quelque autre qui fait qu’on y remarque des défauts, je crois que, si l’on doit user de son adresse en quelque chose, c’est principalement à les savoir regarder du biais qui les fait paraître à notre avantage, pourvu que ce soit sans nous tromper[2]. »

Ce serait sans doute exagérer que de supposer que Descartes s’est souvenu des stoïciens quand il s’est servi du terme idées innées, qu’ils avaient déjà employé (ἔμφυται προλήψεις)[3] pour désigner, il est vrai, toute autre chose. Mais ce sont à coup sûr des idées stoïciennes que Descartes exprime quand il dit que « la vertu seule mérite d’être louée, que tous les autres biens méritent seulement d’être estimés, et non point d’être honorés ou loués, si ce n’est en tant qu’on présuppose qu’ils sont acquis ou obtenus de Dieu par le bon usage du libre arbitre[4] ; » lorsqu’il célèbre le libre arbitre qui « nous rend en quelque façon pareils à Dieu, et semble nous exempter de lui être sujets ![5] » ; lorsqu’il fait dépendre la félicité du droit usage de la raison[6], lorsque, recherchant ce qui est nécessaire pour bien juger, il exige à la fois la connaissance de la vérité et « l’habitude qui fait qu’on se souvient et qu’on acquiesce à cette connaissance[7] » ; lorsqu’il appelle l’âme divinæ quasi particula auræ[8] lorsqu’enfin il nous rappelle que nous ne sommes pas isolés dans le monde, que nous faisons tous partie du même univers, et « qu’il faut toujours préférer les intérêts du tout dont on est partie à ceux de sa personne en particulier[9]. »

Mais ce n’est pas seulement dans les questions de morale que Descartes est d’accord avec les stoïciens. Sa théorie du jugement, si étrange au premier abord et qui a donné lieu à tant de critiques, est conforme à la doctrine stoïcienne telle qu’elle est exposée dans Épictète. Comme les stoïciens, Descartes admet que l’acte d’affirmer, l’acquiescement ou l’assentiment, dépend, non de l’intelligence, mais

  1. Lett. II, t. III, p. 178.
  2. Lett. VI, t. III, p. 197. — Cf. Lett. XIV, t. III, p. 235 ; XLII, t. IV, p. 119.
  3. Plut., De Stoic. rep. 17.
  4. Lett. I, t. III, p. 175.
  5. ibid., p. 176.
  6. Lett. II, t. III, p. 180.
  7. Lett. V, t. III, p. 192.
  8. Lett. XXII, t. III, p. 265.
  9. Ibid. p. 193. — Cf. VI, p. 199.