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v. brochard. — descartes stoïcien.

influence stoïcienne n’est signalée ni dans l’excellente Histoire de la philosophie cartésienne de M. Francisque Bouillier, ni dans l’étude si complète que M. Millet[1] a faite des travaux de Descartes avant 1637.

Que la morale de Descartes, ou du moins ce qu’il a bien voulu nous en faire connaître (car il n’aimait pas à se prononcer sur ces sortes de questions ; il n’en parlait qu’à contre-cœur et quand il y était forcé[2]), se rattache directement au stoïcisme, c’est ce qu’atteste le Discours de la méthode. Il pense aux stoïciens, quoiqu’il ne nomme que les « anciens païens », quand il fait l’éloge de leur morale, et surtout quand il lui reproche de n’être « qu’une insensibilité ou un orgueil, ou un désespoir, ou un parricide[3]. » Plus loin, les stoïciens sont désignés encore plus clairement comme étant ces philosophes « qui ont pu autrefois se soustraire de l’empire de la fortune et, malgré les douleurs et la pauvreté, disputer de la félicité avec leurs dieux[4]. » On retrouve presque leurs expressions dans cette règle de morale provisoire qui était « de faire de nécessité vertu…, de tâcher plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde, et généralement de m’accoutumer à croire qu’il n’y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées. »

On peut assurer que cette règle provisoire était devenue définitive, car on la retrouve exprimée à plusieurs reprises avec la plus grande netteté dans les Lettres. Si nous prions Dieu, ce n’est pas « afin que nous tâchions d’impétrer de lui qu’il change quelque chose en l’ordre établi de toute éternité par sa providence… C’est seulement afin que nous obtenions ce qu’il a voulu de toute éternité être obtenu par nos prières[5]. »

Dans les Lettres à la princesse Élisabeth, Descartes discute la théorie de Sénèque sur le souverain Bien[6]. Il commente Sénèque. Il le critique sans doute et le corrige : il n’était pas homme à recevoir jamais une opinion toute faite, et même quand il s’inspire des autres, il s’approprie leurs opinions en les transformant. Mais il est d’accord avec le stoïcien sur le fond des choses, et cette discussion prouve au moins qu’il l’avait lu attentivement et le connaissait bien.

Zénon et Sénèque sont les seuls stoïciens qui soient nommés dans les œuvres de Descartes ; mais plusieurs passages autorisent à penser qu’il avait, comme Pascal, lu Épictète. Ne trouve-t-on pas comme

  1. Descartes, sa vie, ses travaux, ses découvertes avant 1637, par J. Millet (Paris, Thorin, 1867).
  2. Lett. XXI, t. III, p. 257, édit. Garnier.
  3. Méth., I, 10.
  4. Méth., III, 4.
  5. Lett. VI, t. III, p. 204. — Cf. Lett. XXII, t. III, p. 266.
  6. Lett. II.