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III


Le caractère propre de la mémoire psychique, celui qui n’appartient qu’à elle, qui, sans rien changer à sa nature ni à ses conditions organiques, en fait la forme la plus complexe, la plus haute et la plus instable de la mémoire est celui qui va nous occuper maintenant. Ce caractère dans la langue de l’école s’appelle la « reconnaissance ». Je l’appellerai la localisation dans le temps, parce que ce terme n’implique aucune hypothèse et qu’il n’est que la simple expression des faits.

Il est peu de questions que la méthode des facultés ait embarrassées de plus de difficultés et d’explications factices. Il sera donc bon de dire d’abord en peu de mots comment, pour nous, la question se pose et se résout.

La localisation dans le temps (par ex., se rappeller que tel accident nous est arrivé à telle époque et en tel endroit) n’est pas un acte primitif. Elle suppose, outre l’état de conscience principal, des états secondaires variables en nombre et en degré, qui, groupés autour de lui, le déterminent. Pour nous, ce qui explique le mieux le mécanisme de la « reconnaissance », c’est le mécanisme de la vision.

La distinction entre les perceptions primitives et les perceptions acquises de la vue est devenue courante depuis Berkeley. On sait que la donnée primitive, c’est la surface colorée ; que les données secondaires sont la direction, l’éloignement, la forme, etc. ; que la première dépend surtout de la sensibilité de la rétine ; que les secondes dépendent surtout delà sensibilité musculaire de l’œil ; que par l’habitude le primitif et l’acquis se sont si bien fondus que, pour le sens commun, il n’y a là qu’un acte simple, immédiat, quoique l’analyse, les expériences, les cas pathologiques prouvent le contraire. De même pour la mémoire. L’état de conscience primitif est d’abord donné comme simplement existant ; les états de conscience secondaires qui s’y ajoutent et qui consistent en rapports et en jugements le localisent à une certaine distance dans la durée, en sorte que nous pouvons définir la mémoire : une vision dans le temps.

Cette opération, que, pour des raisons de clarté, nous venons d’indiquer en gros, doit être maintenant étudiée de près et en détail. L’explication théorique de la localisation dans le temps a pour point de départ la loi énoncée par Dugald Stewart et si bien mise en