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Th. ribot. — la memoire comme fait biologique.

plexité et que la mémoire de chaque mot doit avoir pour base une association déterminée d’éléments nerveux[1].

Inutile d’insister : de ce qui précède ressort assez l’importance de ces associations que j’appellerai les bases dynamiques de la mémoire ; les modifications imprimées aux éléments étant les bases statiques. On fera peut-être remarquer que nos exemples supposent des cas encore plus simples. Gela est vrai, mais nous n’avons pas à nous en occuper. Ce que la mémoire conserve et reproduit, ce sont des états de conscience concrets, réels ; nous avions donc à les considérer comme tels et à choisir nos exemples dans cet ordre de faits. Que l’analyse physiologique et l’analyse idéologique, chacune de leur côté, descendent jusqu’aux éléments ultimes, c’est une œuvre utile pour expliquer la genèse des états de conscience : ici, nous les considérons tout formés. Quand nous commençons à parler, nous employons quelques mots simples, plus tard des lambeaux de phrase. Nous ignorons longtemps que ces mots supposent des éléments plus simples ; beaucoup l’ignorent toujours. La conscience, qui est une parole intérieure, procède de même. Ce qui est simple pour elle est composé pour l’analyse. Mais il n’est pas douteux que ces états simples qui sont l’alphabet de la conscience supposent eux-mêmes pour leur conservation et leur reproduction certains complexus nerveux. Les faits que nous avons cités plus haut (p. 528) relativement à des lettres et à des syllabes en donnent la preuve. En voici un autre plus curieux : « Un homme très instruit, dit Forbes Winslow, après une attaque de fièvre aiguë, perdit absolument la connaissance de la lettre F[2]. »

Si donc nous essayons de nous représenter une bonne mémoire et de traduire cette expression en termes physiologiques, nous devons nous figurer un grand nombre d’éléments nerveux, chacun modifié d’une manière particulière, chacun faisant partie d’une association et probablement apte à entrer dans plusieurs ; chacune de ces associations renfermant les conditions d’existence des états de conscience. La mémoire a donc des bases statiques et des bases dynamiques. Sa puissance est en raison de leur nombre et de leur stabilité.

  1. Forbes Winslow (On the obscures Diseases of the Brain and Disorders of the Mind, p. 257, 4e édition) cite le cas d’un soldat qui, ayant subi l’opération du trépan, perdit quelques portions de son cerveau. On s’aperçut quelque temps après qu’il avait oublié les nombres cinq et sept, et cela seulement. Il recouvra la mémoire de ces deux nombres au bout de quelque temps.
  2. Ouvrage cité, p. 258. L’auteur ne nous dit pas s’il s’agit de l’articulation ou du signe écrit, ou des deux, ni si le malade guérit.