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en dire. Ce qui nous intéresse, ce ne sont pas les séries, mais leurs termes. Nous cherchons l’état de conscience simple, afin de montrer quelle complexité il suppose.

Prenons donc un de ces termes : la mémoire d’une pomme. À en croire le verdict de la conscience, c’est un fait simple. La physiologie nous montre que ce verdict est une illusion. La mémoire d’une pomme est nécessairement la forme affaiblie de la perception d’une pomme. Que suppose cette perception ? Une modification de la rétine, terminaison nerveuse d’une structure si compliquée, une transmission par le nerf optique, les corps genouillés jusqu’aux tubercules quadrijumeaux, de là aux ganglions cérébraux (couche optique ?), puis à travers la substance blanche aux couches corticales (dans la région du pli courbe, d’après Ferrier). Cela suppose la mise en activité de bien des éléments divers, épars sur un long trajet. Mais ce n’est pas tout. Il ne s’agit pas d’une simple sensation de couleur. Nous voyons, ou nous imaginons, la pomme comme un objet solide, ayant une forme sphérique. Ces jugements résultent de l’exquise sensibilité musculaire de notre appareil visuel et de ses nerfs : le pathétique, le moteur oculaire commun, le moteur oculaire externe. Chacun de ces nerfs aboutit à un point particulier du bulbe, rattaché lui-même par un long trajet à l’écorce du cerveau, où se forment ce que Maudsley appelle les intuitions motrices. Nous indiquons en gros. Pour les détails, on peut consulter les traités d’anatomie et de physiologie. On se fera une idée du nombre. prodigieux de filets nerveux et de cellules disséminées en îlots et en archipels dans les diverses parties de l’axe cérébro-spinal, qui servent de base à cet état psychique — la mémoire d’une pomme — que la double illusion de la conscience et du langage nous fait considérer comme simple.

Dira-t-on qu’une perception visuelle est. très complexe et prouve trop en faveur de notre thèse ? Prenons la mémoire d’un mot. S’il s’agit du mot écrit, c’est une mémoire visuelle qui se rapproche du cas précédent. S’il s’agit du mot parlé, nous trouvons une complexité tout aussi grande. Le langage articulé suppose l’intervention du larynx, du pharynx, de la bouche, des fosses nasales et par conséquent de plusieurs nerfs qui ont leurs centres dans diverses parties du bulbe : le spinal, le facial, l’hypoglosse. Si l’on attribue un rôle aux impressions auditives dans la mémoire des mots, c’est une complication encore plus grande. Enfin le centre bulbaire doit être lui-même relié à la circonvolution de Broca et à la région de l’insula, considérées universellement comme le centre psychique de la parole. On voit que ce cas ne diffère du précédent ni en nature ni en com-