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g. séailles.philosophes contemporains

de cause et de fin. Ici encore, l’esprit agit, il ne crée point ; il découvre les principes qui se dissimulent, et il démêle les grandes lignes que suit la nature dans toutes ses œuvres, comme l’œil retrouve des formes géométriques dans les objets que l’éloignement simplifie. Ce que dit M. Vacherot de ce qu’il y a de subjectif et d’objectif dans la notion achève d’éclaircir sa pensée ; les notions sont subjectives, parce qu’elles sont abstraites, parce qu’elles n’existent pas à titre de notions dans la nature ; la quantité n’existe pas, ni la substance, ni la qualité, ni la cause, ni la loi ; est-ce à dire que le nominalisme triomphe ? Non. Les catégories sont des idées, que tout ce qui est manifeste, et à ce titre sont plus réelles que les phénomènes passagers. La notion, c’est ce qui ne passe pas, ce" qui existe toujours sans être toujours aperçu ; c’est la science, c’est l’idée de la nature, devenue consciente d’elle-même dans l’esprit humain. Jusqu’ici, M. Vacherot, fidèle à son principe, ne demande rien aux savants qu’ils ne puissent accorder. L’esprit ne sort pas de la réalité, il la reproduit et il l’exprime, en en dégageant la pensée:il ressemble à un architecte qui, chargé de retrouver le plan d’un édifice construit, en démêlerait les intentions et en reconstituerait le dessin dans son ordonnance et sa simplicité primitives[1].

Il semble plus difficile de ramener à l’analyse les principes universelsde la raison, les idées du parfait, de l’infini, tout ce qui, dépassant l’expérience, ne semble pas pouvoir y être contenu ni par suite en être dégagé. Il y va du sort de la métaphysique. Sera-t-elle une science ? Forcera-t-elle l’assentiment des savants ? Si la raison est une faculté mystérieuse qui ne puisse qu’affirmer sans donner ses preuves, la métaphysique est condamnée au vraisemblable, à l’incertitude des inspirations individuelles ; chaque philosophe est un prophète à qui la voix de Dieu dicte des oracles contradictoires. Mais si la raison peut poser un principe incontesté et de ce principe, sans autre procédé que l’analyse, déduire avec les axiomes, fondements de toute science, les idées de l’infini et du parfait, elle est une faculté scientifique du même titre que l’entendement.

On attribue d’abord à la raison des jugements universels et nécessaires, révélations primitives de l’intelligence, irréductibles à l’analyse. M. Vacherot nie l’existence de ces prétendus jugements synthétiques à priori, qui tous pourraient être ramenés à l’analyse. Pour les axiomes mathématiques, nul ne le conteste ; ils ne sont que des applications diverses du principe d’identité ; qui dit tout dit plus grand que la partie; l’attribut répète le sujet. N’en est-il pas de même de

  1. Tome ii, p. 18-52, p. 156-179.