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H. LOTZE. — L’INFINI ACTUEL EST-IL CONTRADICTOIRE ?

de tous les termes de la série jusqu’à l’infini, voilà précisément en quoi consiste l’infinité donnée de la série, et c’est elle qui nous permet de pousser aussi loin que nous le voudrons notre synthèse des unités sans franchir les limites de la vérité et tomber dans l’imaginaire. C’est seulement par une méprise assez grossière que l’on peut prendre cette infinité de la série pour un nombre infini, qui, s’il pouvait être atteint, la rendrait close et finie.

Pour prouver que dans l’enchaînement de nos idées il peut se présenter tel cas où nous devrions reconnaître l’infini comme donné ou présent dans les choses, comme possédant la même réalité que nous accordons aux grandeurs finies de la même espèce, j’avais parlé de la tangente dont la valeur devient infinie lorsque l’angle devient droit et la tangente parallèle à la sécante ; mais j’ajoutais que cette longueur infinie reste immesurable, par synthèses successives de longueurs finies. M. Renouvier n’en répète pas moins contre moi ce que j’avais dit moi-même et agite de nouveau le spectre du nombre infini dont personne n’a parlé [1]. De plus, les géomètres ne l’approuveront pas, quand il demande que l’on nomme cette tangente indéfinie et non infinie. La tangente serait indéfinie si l’on ne savait au juste quelle longueur lui attribuer, si l’on ne savait s’il y a ou non un nombre pour la mesurer. Mais elle diffère de la tangente de 0°, et M. Renouvier avoue lui-même qu’elle n’a plus de mesure, parce qu’elle a une longueur indéfinie dont aucun nombre, quelque grand qu’il soit, ne peut exprimer le rapport avec l’unité de longueur. Il faut dire plutôt, si j’ose l’ajouter, parce qu’elle est infinie. « L’existence et le caractère d’une ligne indéfinie, continue M. Renouvier, est une tout autre question. » Non, la ligne indéfinie n’est absolument rien et ne peut être l’objet d’aucune question sérieuse.

  1. « Vous vous approchez du point où la tangente devient infinie ? Oui, s’il existe un point pour lequel vous soyez en effet forcé de dire que la tangente est encore mesurée par un nombre et que ce nombre est infini ; mais, si la tangente en ce point cesse d’être mesurée, vous n’avez plus de nombre, et comment pouvez-vous dire alors sans absurdité que ce nombre est infini ? Vous atteignez, ajoutez-vous, ce point quand la tangente, qui a varié en convergeant de moins en moins avec la sécante, lui devient enfin parallèle ? Oui, vous atteignez un point pour lequel la tangente n’a plus de mesure, parce qu’elle a une longueur indéfinie dont aucun nombre, quelque grand qu’il soit, ne peut exprimer le rapport avec votre unité de longueur. Ce rapport n’existant plus, il n’y a plus de nombre, ni fini, ni infini. L’existence et le caractère d’une ligne indéfinie est une tout autre question. Si d’ailleurs il convient à l’analyse mathématique d’introduire dans le calcul les signes de grandeurs indéterminées, dont aucun nombre assignable ne donne la mesure, c’est affaire au mathématicien de savoir comment il justifiera son procédé sans être obligé de se représenter une grandeur qui soit à la fois indéfinie et donnée numériquement. Or il y parvient, c’est indubitable, et le nombre infini donné reste à ses yeux une contradiction. » (Crit. phil., p. 71.)