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tence comme l’espace et doublement inintelligible à cause de sa propriété de s’écouler. » (p. 67.) Je n’avais pas dit que le temps devait être, mais qu’il a été et qu’il est toujours envisagé de cette façon par l’imagination naturelle de tous les hommes. Cette manière de voir est inexacte ; mais elle n’implique pas la contradiction que M. Renouvier est seul à y découvrir ; car on ne s’efforce aucunement de joindre à l’idée d’un écoulement perpétuel celle d’une coexistence quelconque : c’est dans la succession seulement que l’on fait consister la nature, le caractère du temps. J’insiste sur ce point pour mieux faire comprendre ce que j’ai dit plus haut. J’ai nié l’impossibilité, pour des choses quelconques, d’une infinité formant un tout simultané ; mais j’ai postulé en même temps la nécessité de déterminer la forme de l’infinité que l’on voudrait affirmer, selon la nature des choses considérées dans chacun des cas. Pour le temps, on a raison de lui refuser l’infinité d’un tout achevé ; mais on aurait tort de supposer que cette forme d’un tout soit la seule sous laquelle l’infini peut exister. La nature du temps étant donnée, l’infinité du temps a pour forme la succession perpétuelle.

S’agit-il des nombres purs ? Personne ne leur attribue une réalité semblable à celle que l’imagination peut encore accorder au temps et à l’espace, ces deux grandes formes vides qui se prêtent à l’intuition comme préexistant à ce qui viendra les remplir. Si donc j’ai parlé de la série des nombres pour prouver qu’un infini peut être dans le même sens que les membres finis qu’il comprend, je me contente de renvoyer le lecteur à la traduction de M. Penjon (p. 70) : « À tout nombre que nous ajoutons encore au delà du dernier posé, nous devons accorder la même valeur qu’à ce dernier ; la série n’est point interrompue par la fin donnée à notre synthèse, de telle sorte que la continuation ultérieure comme simplement possible et imaginable se distingue n’importe comment de la portion déjà comptée comme réelle ou donnée ; la série tout entière est plutôt donnée à notre concept avec la même valeur comme (une) série infinie, bien qu’elle ne puisse jamais être engendrée pour notre représentation par voie d’agrégation d’unités. » Nous sommes donc assurés que chaque nombre, sans limite, ajouté à ceux que nous aurions comptés, aurait exactement le même cours, la même valeur, la même dignité que ces derniers, et c’est dans cette assurance même que nous est donnée l’infinité de cette série, donnée dans le sens qu’elle comporte en tant qu’elle est série de nombres, lesquels n’existent pas comme des choses, mais sont imaginables comme des valeurs déterminées et liées par des relations certaines. La certitude que nous avons de la valeur ou de la vérité simultanée