Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/492

Cette page n’a pas encore été corrigée
482
REVUE PHILOSOPHIQUE

allait, sans plus tarder, aborder la difficulté qui résulte pour nous de la nécessité de concilier ces deux parties de la thèse kantienne. Cet espoir me paraissait d’autant plus légitime que M. Renouvier lui-même me semblait avoir formulé dans les lignes précédentes le problème à résoudre : « La question unique est précisément de savoir si l’intuition (spatiale) inhérente et essentielle à toute sensibilité nous suffit pour expliquer les phénomènes, ou s’il nous faut encore autre chose et si nous pouvons sans contradiction supposer autre chose. » Mais, après avoir soulevé cette question, il passe immédiatement et sans y répondre à une discussion qui ne peut que rester infructueuse.

L’insuffisance pour l’explication des phénomènes de cette intuition spatiale innée ou inhérente à toute sensibilité est reconnue par tous ceux qui ont essayé de se rendre compte du détail de nos perceptions ; au moins en Allemagne, un pays que je connais un peu, je n’ai pas été le premier et je ne suis pas le seul à la proclamer. Une intuition innée est la même dans tous les moments, et par suite, si elle permet de comprendre la possibilité d’une application, en général, qu’on en ferait, elle n’explique en aucune manière les applications spéciales et variées qu’on en fait, qu’on est forcé d’en faire. Ce n’est pas en effet à notre gré, assurément, que dans cet espace, toujours le même, nous disposons, à un moment donné, la multitude de nos perceptions ; il n’y a jamais qu’une seule disposition qui s’impose nécessairement à nos sens et cède la place, un moment après, à une autre disposition tout aussi rigoureusement déterminée. C’est là une observation bien simple, si simple que M. Renouvier la reléguera peut-être parmi celles qu’il juge futiles ; elle n’en est pas moins le point de départ de la divergence des théories contemporaines. La plupart des savants, ne trouvant ni dans la doctrine de Kant, ni dans celle de ses disciples de quoi satisfaire aux exigences scientifiques, ont complètement abandonné l’hypothèse d’une intuition innée ; ne voyant pas comment l’objectivité empirique de l’espace pourrait s’accorder avec une pareille hypothèse, ils en sont venus à accorder de nouveau à l’espace une réalité quelconque. Je crois inutile d’énumérer ici les formes très variées données à l’expression de cette manière de penser ; car j’ai refusé, dès l’origine, de l’adopter : loin de voir dans la théorie de Kant une contradiction irrémédiable, j’ai cru n’y découvrir qu’une lacune à combler.

Je suis obligé d’insister sur la position que j’ai prise par rapport à cette question, parce que M. Renouvier, au commencement de son second article, avoue que ma pensée lui a paru assez obscure. Je n’en suis pas surpris. À ne considérer que les passages de mon livre