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vent fort : voilà certainement de quoi faire durer, sous sa forme première, un livre à qui des qualités si diverses ont valu, à l’origine, le double honneur d’être couronné par l’Institut et de passer pour hardi dans le public.

Néanmoins plusieurs choses nous semblent avoir un peu vieilli, surtout dans la préface, qu’il n’eût été pourtant ni bien long ni bien difficile de retoucher. Certaines affirmations, croyons-nous, ont perdu le droit de se donner pour évidentes sans preuves et paraissent aujourd’hui un peu légères ; certaines précautions ont cessé d’être nécessaires et étonnent de la part d’un vaillant esprit, qui non seulement a fait ses preuves de courage, mais qui prend volontiers, et dans cette préface même, le ton de la polémique. — Je m’explique d’abord sur ce dernier point.

M. J. Denis, plein d’admiration pour les moralistes de l’antiquité, s’excuse presque d’avoir, en ce qui les concerne, « enregistré le mal comme le bien, » et dit « la vérité, même contre eux. » Il est clair qu’une telle précaution, toujours inutile, le paraît plus que jamais aujourd’hui. Le goût de la vérité historique est si général, que les efforts de l’historien pour être exact et entièrement vrai sont, aux yeux de tous, son premier mérite. Qui donc eût pardonné à l’auteur d’un livre comme celui-ci de peindre les mœurs antiques sans mettre aucune ombre au tableau, ou, par respect pour Platon par exemple, d’exposer la République en en retranchant tout ce qui nous choque ? Une apologie sans réserve de la morale et de la moralité antiques n’eût pu qu’enlever tout crédit à notre auteur, et c’est alors qu’on l’eût accusé avec raison d’avoir exagéré à plaisir la grandeur morale de l’antiquité, pour atténuer l’importance et diminuer le prix de la révolution chrétienne.

C’est le second reproche dont il se défend, bien inutilement selon nous. Il le repousse d’un ton qui surprend un peu ceux qui ne savent pas que ce reproche lui a été fait ; il y met une vivacité qui paraîtrait provocante si l’on ne soupçonnait qu’il exerce des représailles. « Certains barbouilleurs de papier, je ne dis pas parce qu’ils n’ont jamais eu l’honneur de penser, mais pour des raisons moins belles encore, en veulent beaucoup à la philosophie. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on les connaît : au temps de Socrate, ils se nommaient Anytus et Melitus ; au temps de Voltaire, Patouillet et Fréron ; il n’est pas besoin de dire comment ils se nomment de nos jours. La philosophie se rit d’eux et les méprise… Que cela [la continuité du progrès moral] dérange certains préjugés ; que des idées et des sentiments qu’on refuse aux anciens aient eu l’impertinence de se produire quelques siècles trop tôt pour la paix de certaines opinions systématiques : je n’y puis rien. C’était un devoir pour moi de recueillir fidèlement ce que les anciens ont dit. » — Sans doute. Et il faudrait n’avoir pas lu les fortes pages du second volume sur l’État moral et social du monde gréco-romain, principalement sur l’esclavage et la prostitution, sur la corruption de la famille par