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analyses. — w. clifford. Lectures and Essays.

toutes les idées d’un homme au moment où il va agir, nous saurions quel acte il choisira, et ses choix seraient toujours semblables si l’on pouvait reproduire le même milieu, les mêmes circonstances morales. Cette uniformité de nature dans les actions humaines qui est nécessaire pour que nous soyons responsables, nous est attestée par la conscience aussi loin que portent nos investigations, et nous devons croire qu’elle subsiste encore lorsque le témoignage de la conscience nous fait défaut, à cause du parallélisme entre la matière et l’esprit, les phénomènes matériels et leurs rapports étant le symbole des phénomènes mentaux et de leurs relations.

Maintenant, quels sont les faits qui constituent le domaine de la morale ?

Ce que nous appelons le moi, au sens moral, c’est un choix, un groupe de sentiments reliés entre eux par une association longue et répétée. Lorsque nous désirons une chose pour quelque résultat lointain, ce résultat ne se représente pas à nous, d’ordinaire, sous la forme du plaisir positif que produirait la satisfaction de notre désir ; au lieu de cette représentation, nous concevons symboliquement l’objet désiré comme devant faire du bien à ce moi complexe et abstrait dont nous venons de parler. Nous avons le sentiment que la chose est profitable au moi, et à la longue ce sentiment, qui primitivement tirait sa nature agréable des plaisirs simples dont il était le symbole, finit par ne plus les rappeler et devient lui-même un plaisir. Le moi forme ainsi une sorte de centre pour les motifs éloignés de nos actes, et ces motifs se simplifient et arrivent à avoir un but immédiat, le bien du moi. Dans les races les plus simples de l’humanité, les désirs immédiats jouant un grand rôle dans la vie, la conception du moi est moins souvent employée : elle se développe donc moins et de plus elle est plus vague et plus large. Le sauvage souffre non seulement lorsqu’on lui écrase le pied, mais lorsqu’on écrase sa tribu, parce qu’il perd sa hutte, sa femme, les garanties de son alimentation. La tribu entre donc naturellement dans cette conception du moi qui rend possibles les désirs lointains en leur donnant un but immédiat. Les peines et les jouissances actuelles qui provenaient des succès et des malheurs de la tribu et qui étaient la source de cette conception, sortent peu à peu de la conscience et du souvenir ; le symbole qui les a remplacées devient un centre auquel peuvent se rapporter des désirs immédiats, assez puissants en beaucoup de cas pour triompher des plus fortes suggestions de joies ou de souffrances individuelles.

La tribu ne peut exister qu’à l’aide d’un artifice comme cette conception d’un moi social (tribal self), dans l’esprit de ses membres. Dès lors il se fait une sélection naturelle des races où cette notion est la plus puissante et où le bien du moi social est un motif qui triomphe habituellement des désirs immédiats.

Cette disposition adonner la préférence à la famille et à la tribu, considérée comme mobile de nos actes, désignons-la par son vieux nom