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boussinesq. — notions géométriques.

nière, nous être transmis, grâce aux mystérieuses lois de l’hérédité ? Donc les conceptions géométriques ne sont pas plus l’expression directe, devenue héréditaire, d’observations anciennes, qu’un simple souvenir d’observations personnelles.

Mais peut-être, tout en maintenant la différence incontestable et profonde qui existe entre les idées géométriques et les divers résultats concrets de l’expérience, dira-t-on que ces idées sont comme le résidu d’un nombre prodigieux d’observations, poursuivies par chaque individu pendant la période assez longue de travail plus ou moins inconscient qui précède et accompagne l’éclosion de l’intelligence. Ces observations, s’associant, imprimeraient dans l’esprit, alors qu’il est éminemment flexible et modifiable, des images résultantes, formées par une sorte de superposition de leurs effets individuels. Des notions générales produites de cette manière se trouveraient, naturellement, de plus en plus harmonieuses ou parfaites, à mesure que les images élémentaires dont elles se composeraient, et qui seraient celles des objets matériels successivement aperçus, viendraient, en nombre de plus en plus grand, se fondre toutes ensemble : car les irrégularités de ces dernières y disparaîtraient par neutralisation réciproque.

On pourrait même supposer que les images élémentaires considérées n’ont qu’une existence virtuelle, pendant les premières périodes du développement intellectuel, chacune s’employant tout entière, dès l’instant de sa production, à modifier dans une petite mesure l’effet laissé par les précédentes, et l’esprit, encore sans consistance ou incapable de réagir, ne pouvant, en quelque sorte, la fixer et l’enregistrer distinctement. Les formes moyennes obtenues par cette fusion toute spontanée persisteraient d’ailleurs, sans changement appréciable, dès que l’esprit aurait perdu sa plasticité première, et elles constitueraient comme le fond, désormais fixe, de l’intelligence. Ainsi s’expliquerait notamment l’existence, chez tous les hommes, des notions géométriques.

II. Cette hypothèse est-elle satisfaisante ? Elle se heurte d’abord à deux difficultés, qu’un simple coup d’œil fait apercevoir. D’une part, les premières phases de chaque existence individuelle semblent bien courtes, pour fournir des matériaux suffisants à un aussi vaste travail de synthèse, dont les résultats essentiels eux-mêmes sont nombreux. D’autre part, les circonstances, assez différentes, que présentent ces phases chez les divers individus, ne paraissent guère permettre d’expliquer l’absolue concordance, dans tous, des idées géométriques, c’est-à-dire l’identité parfaite des résultats obtenus à partir de données variables.