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Bref, la fixation du regard est une condition détestable pour la vue nette et précise d’un objet. Il faut nécessairement, pour que cette vue précise ait lieu, la mise en jeu des divers appareils musculaires annexés à l’œil de l’iris, du muscle ciliaire, et des muscles moteurs du globe oculaire. Sinon, la vision nette des objets est remplacée par une sensation confuse et imparfaite.

En second lieu, par suite des différentes lois physiques, trop complexes pour être exposées ici, qui régissent la vision binoculaire, il est nécessaire, pour bien voir un objet, de le considérer sous divers angles. Par exemple, qu’on regarde une statue, je suppose, sans remuer la tête, en fermant alternativement l’œil droit et l’œil gauche ; selon qu’on la regardera avec l’œil gauche ou avec l’œil droit, elle sera vue un peu différemment ; car certaines parties seront aperçues avec l’œil gauche, qui ne seront pas aperçues avec l’œil droit. De même, en regardant la statue en face avec les deux yeux, on la verra encore différemment. Mais, pour bien distinguer tous les détails de la statue, il sera nécessaire de déplacer la tête, ce qui fera apprécier le relief, en permettant de voir sous différents angles les saillies et les dépressions du marbre. En réalité, nous procédons toujours ainsi, soit pour regarder une statue, soit pour reconnaître une personne qui marche dans la rue, soit pour l’examen d’un objet quelconque, et nous remuons la tête, à droite, à gauche, à plusieurs reprises, pour distinguer le relief, l’ensemble, les détails, la perspective, etc.

Ajoutons que le plus souvent un objet, alors qu’on ne le regarde pas, est hors du champ visuel, de sorte que, pour que cet objet se trouve dans le champ visuel, il faut faire des mouvements de la tête, des yeux, et même des mouvements de la totalité du corps. Sans ces divers mouvements, la vue serait un sens tellement grossier et imparfait que son utilité serait réduite à bien peu de chose. Examinez en effet un chasseur par exemple qui se trouve dans une forêt. Pour voir si un lapin ou un oiseau n’est pas à la portée de son fusil, il fait toutes sortes de mouvements : il dresse la tête, la penche à gauche, à droite, se retourne, se baisse, parcourt du regard le feuillage des arbres, le sol qui est à ses pieds. Non seulement il voit, ce qui serait bien peu de chose ; mais il regarde. Ses yeux ne restent pas immobiles pendant le plus petit instant, et, chaque fois que ses yeux changent de direction, il y a en même temps un changement dans la tension des muscles ciliaires, dans la forme de l’iris, dans la dilatation ou le resserrement des vaisseaux de l’appareil visuel (iris, rétine, choroïde, nerf optique et centres nerveux optiques).

On peut donc résolument affirmer qu’il n’y a pas vision sans mouvement : et que si l’appareil sensible récepteur existait seul, sans